Sommaire :

    Salon des Beaux-Arts 1891 - suite et fin

    JOSÉ FRAPPA.

    - Portrait de M. Thévenet (361). C'est bien la physionomie ouverte et fine de l'ancien ministre de la justice ; c'est bien son front large , son bon regard et son sourire spirituel. M. Frappa met décidément, dans ses portraits, autant de talent, pour le moins, que dans les petites toiles de genre qui ont commencé sa réputation. Il sait leur donner, avec un rare bonheur, la ressemblance et la vie.

    SARRASIN.

    -Une Tête d'étude (781) d'une très jolie gamme. Voilà qui vaut infiniment mieux que le portrait en pied de Mme Verheyden, envoi du même peintre, exposé dans la salle voisine. Il faut un moment de réflexion pour reconnaître l'aimable chanteuse, dans cette matrone en bois, au regard renfrogné. M. Sarrasin a voulu faire grand : il n'a guère réussi qu'à faire laid. C'est une revanche à prendre.

    Mlle CORNILLAC.

    -Un solide portrait (237), très juste de ton, sur un fond détestable ayant la prétention de représenter l'Ile-Barbe.

    GRANDE SALLE EST

    Au milieu, sur un chevalet, dans un cadre voilé de crêpe, on a placé l'impressionnante et superbe esquisse de MEISSONIER, qui a pour titre Paris (1870-71). Ce n'est qu'une ébauche, et pourtant c'est déjà une grande oeuvre que cette page symbolique. Quelle différence avec les allégories conventionnelles et banales dont les peintres abusent trop souvent !

    Paris est représenté sous les traits d'une femme au masque énergique, vêtue de noir et coiffée d'une peau de lion. Derrière elle un grand drapeau dont les trois couleurs s'enlèvent sur un ciel tragique.

    Dans le lointain s'allument des lueurs rouges d'incendie. Et de nombreux groupes, disposés avec un merveilleux génie de composition, forment comme un résumé vivant des drames qui, chaque jour, se déroulaient pendant le siège : des brancardiers emportant un blessé; une mère, penchée sur le corps de son fils et recueillant son dernier souffle; des matelots pointant une pièce de siège; un cheval abattu, dressant la tête au milieu des cadavres; au premier plan, Henri Regnault, étendu sur le dos et frappé à mort, semble fouiller de son regard sombre l'infini dans lequel il va entrer...

    Quel commentaire véridique et saisissant de cette époque si bien nommée « l'Année terrible » par Victor Hugo !

    -La Femme et la Chimère (435) de Mlle GUYON a du relief et de l'intérêt. Cette jeune femme blonde, aux yeux noyés de rêve, harmonieusement vêtue d'une robe verte, est tout à fait expressive. Mais la Chimère, esquissée par un trait léger dans l'ombre du fond, était pour le moins inutile.

    -A côté un portrait de SCOHY (784) très agréable dans son frais coloris.

    ISEMBART (437).

    -Un bord de l'eau paisible et verdoyant, dans lequel cet artiste de talent a un peu trop prodigué les glacis gris-bleutés familiers à son pinceau.

    LEVIGNE.

    - Très nature le portrait de L’ami Terraire, fumant tranquillement sa pipe. Mais si l'effigie du premier basson du Grand-Théâtre est assez réussie, que dire de l'immense panneau consacré au premier ténor? Qu'il est mal peint et odieusement théâtral, ce pauvre M. Massart, empoté dans le pourpoint du duc de Mantoue! C'est un mauvais décor, qui peut faire pendant au portrait de Mme Verheyden sur lequel nous avons gémi déjà. Les peintres lyonnais en veulent donc beaucoup cette année aux artistes du Grand- Théâtre ?

    - Mlle KITTY-FORNIER (354) a été bien servie par son modèle dans le Portrait de M. X…Elle l'a d'ailleurs habilement rendu. Ce serait mieux encore si la touche était plus vigoureuse et les détails moins léchés. Mlle Fornier expose, en outre, deux très aimables pastels.

    -La Ferme à Valmondois, de VOLLON (865) est une erreur d'un grand peintre. Ce ciel crûment indigo, ces nuages qui ont l'air de crouler sur un toit de chaume, lequel se confond lui-même avec un tas de fagots, choquent plutôt qu'ils ne séduisent. Le maitre lyonnais nous a donné souvent de meilleurs échantillons de son incomparable virtuosité.

    -Un habile et un amusant, c'est M. MENTA (588). Nous sommes à la Halle. Une vieille dame, accompagnée de sa bonne, examine un poulet à l'étalage d'une marchande, qui semble peu satisfaite qu'on vérifie ainsi ses comestibles. Tous les accessoires — et Dieu sait s'il y en a ! — sont traités avec une perfection presque agaçante. Mais la couleur est vibrante et jeune et les blancs étonnamment purs.

    GAGLIARDINI (372).

    -Les Bords de l'Allier. Paysage d'été dont la lumière papillote on ne peut mieux pour la joie de l'oeil.

    Mlle Anna BILINSKA (94).

    -Un buste de femme aux traits accentués, aux regards ardents, dont le corsage rouge s'enlève en valeur sur le fond. Quelle virilité dans le faire de cette vaillante artiste !

    PONCET (699).

    -Orphée. Tous les défauts de la vieille école et bien peu de ses qualités. C'est de l'Hippolyte Flandrin de Chaponost. Ce lion qui a l'air d'un veau, cette tortue qu'on prendrait pour une blague à tabac, viennent tout droit de la maison X... (caoutchouc et baudruches). Seul le torse d'Orphée est assez bien dessiné. Pour la couleur, ce peintre officiel la dédaigne ou l'ignore. En somme, tableau qui devrait être signé : PONCIF.

    -Je ne suis pas enthousiaste de L’Etude de M. ROCHEGROSSE. Les couleurs violentes qui s'entrechoquent sur ce vieillard à la barbe bleue ne sont pas toujours d'un heureux effet. Et pourtant la Ville a acheté ce tableau. Qu'il est pur le goût municipal !

    MARIUS ROY.

    -Journée finie après les Manoeuvres (766). Un groupe d'artilleurs, assis dans un pli de terrain autour de leur maréchal des logis, qui leur fait sans doute la théorie, car la plupart donnent avec entrain. Ingénieusement composé et très vrai d'observation. La couleur est maigre et la lumière est trop claire pour une scène qui se passe à la tombée de la nuit.

    - Le Portrait de Madame X., de LA BRELY (136) — robe et figure rose sur fond bleu pâle — est délicatement léché.

    -A côté, les belles vaches rousses de Mlle BOUILLIER (121), paissent le mieux du monde un herbage trop vert.

    FANTIN-LATOUR.

    -Il est réellement magistral de dessin ce Portrait de Madame Gravier. Par contre, la couleur est très discutable et posée avec une sécheresse voulue, qui donne à la toile un aspect grumeleux et terne.

    LORTET.

    - Une vue du lac du Bourget, prise de Chindrieux (533): moins «chromo» que d'habitude.

    LA PETITE SALLE DE SORTIE

    contient toute une série de tableaux dont le Jury d'admission a le droit d'être fier. On y trouve, entre autres drôleries, une Rebecca à la fontaine, une Chêvre en sucre léchant des roses en papier et une Madeleine étalant son large bas de dos, devant lesquelles aboieraient les caniches les mieux élevés. Il faut donner un coup d’oeil aux Phlox de M. LATOUCHE, un peu bien verts de tons et de reflets; aux Moutons dans la nuit, de M. FRANZ DEBEUL; à l'excellente étude de jeune femme vue de dos, par VALLET; aux fleurs en plein air et en pleine pâte de YUNG ; au petit tableau de genre, de M. CHOCARNE-MOREAU, représentant un jeune mitron occupé à écrire : Vive Boulanger! sur un mur constellé d'affiches, et enfin au Portrait de Madame C, par M. CONVERT.

    LES PASTELS ET AQUARELLES

    sont réunis dans les deux annexes ménagées à chaque extrémité du Salon. La première, à gauche en entrant, contient une Femme vue de dos (95), par Mlle ANNA BILINSKA, d'un coloris bien séduisant; un Intérieur d'église, de TONY GARNIER, et des Pavots, de PAUL BIVA. L'annexe du fond est plus intéressante. A voir : une série d'aquarelles de P. ROGNIAT; le beau pastel de Mlle DAUVERGNE : Morbidezza, dont les nuances de chair sont exquises, si les lignes sont parfois incorrectes; le Coin de forêt à l'automne, de M. JOSÉ ; des fleurs de RIVOIRE ; un agréable portrait de Mlle OLIVIER, et un Moine, de TOLLET, etc., etc.

    LA SCULPTURE

    ne sera pas longue à passer en revue. Superbe et plein de vie le Buste du peintre Allemand, par AUBERT. Le Pierre Dupont, de MATHELIN, et le Jacquard, de BAILLY, sont aussi de bons portraits. Le Grisou, groupe de M. ZAN, est légèrement « mélo » et trop tourmenté. J'aime mieux les Orphelins, de M. DEVAUX. Signalons encore un buste ressemblant de M. le docteur Paillasson, par M. BENOIT, et la Becquée (720), statuette de RAMBAUD, assez élégante de lignes.

    P.-S. — J'ai oublié de citer les noms de MMme Collomb-Agassis, de MM. Médard, Armbruster, Bidauld et J. Bail, qui ont envoyé des toiles intéressantes. Voilà qui est fait.

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