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Causerie

Un de nos lecteurs lyonnais nous adresse la lettre suivante :

Avez-vous remarqué, Monsieur le Directeur, le dernier bulletin de l'état civil de Lyon? Naissances : 146; décès : 187; déficit : 41. Cela ne vous dit-il rien? Et c'est comme cela toujours, toujours. Je suis sûr qu'il n'y a pas eu cette année une semaine à Lyon où les naissances aient dépassé les décès.

Ne devriez-vous pas remplir vos colonnes de sujets relatifs à cela ? Mais il ne faut pas attendre pour le faire qu'il ne reste plus personne ici-bas... Si cela continue la France n'ira pas loin.

J'ai respecté à dessein le texte intégral de notre concitoyen pour que son cri d'alarme soit rendu avec toute l'intensité de conviction de celui qui l'a poussé. Sans doute ses craintes sont exagérées dans l'expression ; nous n'en sommes pas encore à redouter l'extinction de la race humaine par le dépeuplement total de la planète. Mais, au fond, notre correspondant n'a pas tort, et le mal qu'il signale est profond et redoutable.

Comment y remédier ? Voilà le point difficile. Il y a deux observations qui, tout d'abord, viennent à l'esprit, si naturelles qu'elles semblent renouvelées de La Palisse : Pour que les décès ne fussent plus en excédent sur les naissances, il faudrait d'abord que les Français fissent plus d'enfants et ensuite qu'il en mourût moins.

Le premier point relève surtout des moeurs et même des moeurs intimes. Il est certain que les grandes familles sont aujourd'hui beaucoup plus rares qu'autrefois. Mais je ne vois pas trop comment des articles de journaux pourraient atténuer cette fâcheuse infécondité. Ce sont là choses et secrets d'alcôve qui doivent rester entre époux.

Cependant la question touche par un certain côté à la politique. Si la survenue des enfants est parfois appréhendée par beaucoup de familles, surtout dans la petite bourgeoisie, c'est qu'il en résulte des charges matérielles trop lourdes. Le rôle de l'Etat devrait donc tendre à les diminuer par de très larges dégrèvements d'impôts quand bien même il faudrait pour cela grever d'autant le célibataire. On pourrait encore réserver aux pères de familles nombreuses des avantages particuliers pour l'éducation de leurs enfants.

Enfin, il est hors de doute, et tous les médecins n'hésitent pas à l'affirmer, qu'une application plus efficace des règles de l'hygiène sociale suffirait pour rétablir la balance au détriment des décès. Diminuer la mortalité c'est comme si on augmentait les naissances. Pour obtenir ce résultat le programme me paraît consister en ceci : meilleur fonctionnement du service des enfants assistés ; extension et vulgarisation des moyens de défense contre les épidémies ; assainissement des villes par de larges et saines distributions d'eau et la destruction des logements insalubres ; monopole de l'alcool pour prévenir l'empoisonnement héréditaire si funeste aux générations actuelles, etc., etc. En un mot il importe d'organiser sérieusement, suivant les données de la science, la lutte contre la maladie et la mort.

J'ai la naïveté de croire que ce sont là des sujets qui devraient préoccuper le Parlement et les ministres plutôt que la politique pure. Car, s'il est permis de douter qu'il soit utile de réviser la Constitution, il est incontestable que chacun de nous tient à garder la sienne intacte le plus longtemps possible. A ce point de vue, les plus farouches républicains sont de parfaits conservateurs.

Telles sont, brièvement et rapidement résumées, les réflexions que nous suggère l'intéressante lettre qu'on a lue plus haut.

La période électorale est ouverte depuis plusieurs jours déjà et cependant le pays ne semble point sentir son pouls battre beaucoup plus vite. La fièvre des élections, dont les accès furent si violents il y a quatre ans, n'en est pas encore à la forme aigue et il est vraisemblable que nous ne reverrons plus les empoignades enragées qui sévirent au moment du boulangisme. Je ne sais s'il faut voir dans cette situation un détachement de l'opinion vis-à-vis des choses de la politique ou un progrès dans nos moeurs publiques. Quoi qu'il en soit, le fait est certain : on se passionne moins pour les élections, sans doute parce que l'issue de la bataille est connue d'avance en ce qui touche la forme du gouvernement.

Nous allons donc prochainement revoir sur nos murs le multicolore bariolage d'affiches où flamboient, sous forme d'engagements solennels, les promesses les plus folles. Vous souvenez-vous de la jolie phrase de la profession de foi que Ludovic Halévy prête à M. Cardinal : Je veux une religion purement laïque et une armée purement civile. Je veux aussi demander moins à l'impôt, mais plus au contribuable. Formule ineffable, dans laquelle sont résumées toutes les âneries incohérentes de l'imbécile devenu candidat ! Et, - pour un homme de talent rencontré çà et là, - combien de politiciens sont de la même race que ce bon M. Cardinal !

Nous allons retrouver aussi, comme des connaissances anciennes, les éternels clichés dont se servent dans tous les camps, même les plus opposés, les électeurs et les élus.

On est toujours élu à une majorité écrasante, ou battu de quelques voix par une faible minorité. La pression est invariablement... administrative; la lutte... chaude; la victoire... éclatante et la défaite... imprévue. Enfin, sous tous les régimes, la candidature qui vous déplaît est toujours... officielle.

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