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Causerie Lyon, 25 mai 1893.

De tout temps, il y eut des candidatures drolatiques à l'Académie française. Depuis le marquis de Beaumont, auteur de « vers passés de mode », comme il le disait lui-même, et descendant du baron des Adrets, jusqu'à l'épicier Estivallet, qui avait cette phrase mémorable comme programme : Pour que le dictionnaire de l'Académie avançât il faudrait que je m'en mélasse !, plusieurs joyeux farceurs ont frappé, pendant ces dernières années, à la porte de l'Académie. Mais le plus extraordinaire et le plus amusant, c'est à coup sûr M. Achille Le Roy, anarchiste et fumiste, qui vient de faire ses visites électorales aux trente-sept immortels.

Depuis que l'Académie existe, c'est-à-dire depuis Richelieu qui fonda l'institution pour assurer à ses mauvais vers de bénévoles lecteurs, je ne crois pas qu'on ait jamais vu une tournée académique à ce point tintamarresque. M. Achille Le Roy fait ses visites dans une diligence du siècle passé, attelée de quatre chevaux blancs. Sur ce véhicule respectable ont pris place le candidat, vêtu en général bolivien, son secrétaire perpétuel, Marius Tournadre, candidat à Sainte-Pélagie, et enfin le citoyen Maxime Lisbonne, ancien membre de la Commune, un de ces bohèmes forcenés et minables qui sont d'autant plus maigres que le col de leur habit est plus gras...

En ce fier équipage et en cette noble compagnie, le candidat « académicide » s'est présenté au domicile de tous les académiciens, leur exposant ses titres, qui sont deux publications intitulées les Amours libres et la Bombe, et son but, qui consiste à s'introduire à l'Académie pour la « rajeunir » d'abord et la « faire sauter » ensuite.

Le succès de rire obtenu par M. Achille Le Roy est énorme et presque tout le monde a été unanime à reconnaître la saveur et l'originalité de la plaisanterie. Certains journaux, pépinière d'académiciens comme les Débats, ont pourtant fait grise mine sous prétexte que la manifestation était irrévérencieuse pour l'Institut. Mon Dieu, il est bien certain qu'en l'espèce l'Académie n'a pas les rieurs de son côté, et qu'on a profité de l'occasion pour blaguer fortement les habits à palmes vertes. Mais l'Académie n'a-t-elle pas prêté le flanc à ce débordement de railleries en faisant elle-même des choix ridicules? Ces messieurs, du Palais-Mazarin croient-ils s'être couverts de gloire en préférant à Emile Zola M. Thureau-Dangin ?

Je ne voudrais pas faire de parallèle, encore que cet exercice littéraire soit très prisé sous la docte coupole, mais il me paraît hors de doute que si la Bombe et les Amours libres sont des brochures moins volumineuses que l’Histoire de la monarchie de Juillet, les premières doivent être moins soporifiques que ne l'est la seconde. Thureau-Dangin a l'avantage d'être relié en veau, mais Achille Le Roy a celui d'être folâtre. Et ceci vaut bien cela.

On peut être persuadé à l'Institut que si le public a pris tant de goût à la fumisterie du bouillant Achille, c'est qu'il juge très sévèrement les intrigues et les coteries d'où dépend le sort dos élections académiques. On n'entre pas à l'Académie parce qu'on a du talent, mais parce qu'on est le candidat de tel ou tel salon et le Benjamin du parti des ducs ou du clan des professeurs. Les applaudissements qui vont à Achille Le Roy sont donc autant de sifflets à l'adresse d'une certaine catégorie d'immortels, de ceux auxquels s'applique la vieille et spirituelle épigramme :

Quand ce candidat se présentePourquoi donc tant crier haro ?Pour l'aire un chiffre de quaranteNe fallait-il pas un zéro ?

Tous les Lyonnais se souviennent de Werbeck, le prestidigitateur dont l'habileté est si prodigieuse dans les tours de cartes et d'escamotage. On me rapporte qu'au cours d'une soirée donnée dans une ville du centre il vient de lui arriver une histoire qui amusa fort la galerie, mais qui lui parut, à lui, beaucoup moins drôle... Mesdames et Messieurs, venait-il de dire, en un de ces boniments débités avec tant de volubile assurance, rien ne m'est plus aisé que de changer une pièce de vingt sous en une pièce de vingt francs. Quelqu'un veut-il me confier un franc ? Voilà, répond un monsieur...

Werbeck saisit la pièce entre le pouce et l'index, la frappe de sa baguette magique, et aussitôt l'assistance émerveillée aperçoit à la place un beau louis tout neuf. C'est épatant s'écrie le monsieur. Voyons de plus près si c'est bien de l'or...

Il prend les vingt francs, les examine et murmure avec satisfaction : Parbleu oui ! On dirait que ça sort de la Monnaie... Et il serre incontinent le louis dans son porte-monnaie. Pardon, fit Werbeck très embêté, rendez- moi la pièce. Jamais de la vie ! Pas si bête : Vous m'en referiez un franc !

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