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Causerie

Les récentes querelles entre Mages et Sars, s'invectivant au nom de la « Rose- Croix et du Beau-Séant » ont ramené l'attention sur les mystérieuses pratiques de la sorcellerie que ces bons toqués et ces étranges fumistes prétendent avoir retrouvées. N'ai-je pas moi-même exposé à cette place, sous une forme incrédule et parfois moqueuse, les procédés de l’envoultement dont se menaçaient ces apôtres de la magie moderne ?

Il paraît que nous avions tort dans notre scepticisme. Si nous en croyons des expériences vraiment scientifiques faites par le colonel de Rochas, directeur de l'école polytechnique, il y aurait sérieusement quelque chose de justifié dans la croyance à l'envoultement. M. de Rochas a lui-même relaté ses recherches dans une revue. Elles sont trop curieuses et trop impressionnantes pour que je n'essaie pas de les résumer ici très brièvement.

Chacun sait que dans les états profonds de l'Hypnose, les sujets endormis perdent toute sensibilité de la peau. M. de Rochas s'est aperçu que tous ses sujets percevaient son approche sans avoir été touchés. Il en conclut que peut-être leur sensibilité s'était extériorisée, qu'elle se dégageait du corps comme des effluves, formant autour de lui une zone impressionnable.

Et, en effet, l'opérateur constata que s'il pinçait cette atmosphère sensible, par exemple dans la projection du doigt de la personne en sommeil, cette dernière éprouvait une douleur à la main. Bien mieux, M. de Rochas fit traverser à ces ondes un verre rempli d'eau, et l'eau emmagasina la sensibilité du sujet à tel point que, même éloignée à une distance assez grande, tous les contacts que le magnétiseur imprimait à cette eau étaient subis par le magnétisé comme s'ils eussent été faits à lui-même.

On voit combien ce phénomène est voisin de l'envoultement. Mais M. de Rochas alla plus loin encore. On sait que les sorciers du XVe siècle envoultaient au moyen d'une statuette en cire. Notre savant confectionna lui aussi une statuette qui fut imprégnée de fluide impressionnable par un séjour de quelque durée et à courte distance d'une femme extériorisée.

Et chaque fois que la statuette était piquée en un point déterminé avec précision, le sujet ressentait la piqûre exactement à la même place !

On implanta sur la tête de l'image de cire des cheveux arrachés au sujet et un des expérimentateurs emporta la statuette derrière un bureau d'où ne pouvaient la voir ni M. de Rochas ni la dame endormie. Celle-ci fut réveillée et se mit à causer ; tout à coup elle se retourna brusquement et porta la main à sa nuque en demandant qui lui tirait les cheveux : c'était l'instant précis où l’opérateur caché venait de tirer les cheveux de la statuette ! Les mêmes manifestations furent observées sur une image photographique du sujet, obtenue à l'aide d'une plaque au gélatino-bromure sensibilisé.

M. de Rochas s'en tint là. Il n'osa pas aller plus loin, traverser, par exemple, le coeur de l'image, de peur de provoquer un accident mortel pour son sujet. Mais n'est-ce pas une singulière chose de voir la science contemporaine, la science authentique et officielle, exhumer les terrifiants procédés des magiciens moyenâgeux, et constater que tout n'était pas superstition, charlatanisme ou folie, dans ces invraisemblables sortilèges ?

S'il était possible d'envoulter celui qui préside au beau temps, la précaution ne serait pas inutile. On n'a jamais vu pareille sécheresse, en dépit des prédictions des almanachs qui tous annonçaient avec un bel ensemble un mois d'avril pluvieux. Depuis soixante jours nous avons eu tout juste quelques gouttes d'eau dimanche, pour la clôture du Concours hippique. Mais c'est à peine s'il en est tombé assez pour rafraîchir les feuilles et désaltérer les oiseaux. La terre n'en demeure pas moins brûlante et assoiffée. Même les prières ordonnées par Nos seigneurs les évêques n'ont pas fait cesser cette température à rendre jaloux le Sahara. La seule rosée que ces oraisons ont pu susciter est sans doute une rosée céleste, mais n'humectant que les âmes, - ce qui est manifestement insuffisant pour la betterave, la luzerne, le froment et les petits pois...

Par exemple nous avons à Lyon un arrosage spécial, peu désiré, hélas ! attendu qu'il est alimenté par du sang. La série de meurtres que je signalais déjà il y a quinze jours se continue effroyablement. Après ce cruel drame de l'adultère, qui fit la semaine passée deux victimes à Saint-Fons, voici que la Guillotière vient d'être le théâtre d'un crime nouveau, pas du tout passionnel celui-là, et accompli par des cambrioleurs avec une audace inouïe.

Comme la Grignette, cette malheureuse fille assassinée il y a quelques années dans un entresol de la place des Célestins, Mme Bernaze a été « refroidie » en plein jour, dans un rez-de-chaussée du cours Gambetta, une des rues les plus fréquentées de tout Lyon. Voilà qui donne une idée peu rassurante de la sécurité dont on jouit en notre bonne ville. D'autant plus que chacun se demande avec un scepticisme des plus naturels si le juge d'instruction et la police sauront arrêter les coupables. La liste des crimes lyonnais restés impunis est déjà si lamentablement longue !

Il est vraisemblable que là réside l'explication de l'accroissement formidable delà grande criminalité à Lyon. Tous les assassins s'y donnent rendez-vous, parce qu'ils savent qu'on peut y tuer avec tranquillité.

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