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Causerie. Lyon, 22 mars 1893.

On vient de jouer sur la scène du Vaudeville les Drames sacrés de MM. Armand Silvestre et Morand, série de tableaux mystiques représentant la Passion. Cette tentative renouvelée des Mystères du moyen âge a médiocrement réussi. Il est de fait que ce genre de théâtre n'est plus guère de notre temps. Le grand public pouvait s'en accommoder et même s'y passionner aux époques de foi ingénue. Aujourd'hui les blasés seuls y viennent, parce que cela les change du ragoût accoutumé. Passer du Premier mari de France ou de Lysistrala à la légende du Christ, c'est un contraste qui peut attirer au Vaudeville quelques salles de boulevardiers sceptiques.

Pour les croyants, ou même pour ceux qui ont le respect des choses sacrées sans en faire une religion, - uniquement parce qu'elles sont poétiques et belles, - ils n'iront pas à la pièce de MM. Silvestre et Morand. Il y a quelque chose de choquant à représenter sur les planches des personnages comme Jésus. Ce mélange de mysticisme et de cabotinage est plutôt déplaisant. Songez que le Christ du Vaudeville n'est autre que M. Mayer qui jouait récemment je ne sais quel rôle comique, et que la Vierge est représentée par cette excellente mais peu idéale Marie Samary, qui s'entend mieux aux tirades gaies des duègnes joviales qu'aux attitudes raphaëlesques d'une Mater dolorosa...

Et puis comment avoir l'état d'âme qui conviendrait à un spectacle aussi épuré, quand on sait que l'auteur principal en est M. Armand Silvestre ? Mon Dieu oui! L'écrivain des aventures de l'immortel Cadet Bitard et de l'amiral Lekelpudubec, le gaulois conteur qui sut fondre et rajeunir en des récits inépuisablement renouvelés, l'invention amoureuse de Boccace et la verdeur d'expression de Rabelais a rêvé d'élever ses contemporains jusqu'aux religieuses extases des primitifs, - après leur avoir suggéré la hantise des plus folles gaudrioles... Il paraît bien que le genre de talent de l'aimable poète convient de préférence à la personnification de Cadet-Bitard plutôt qu'à celle de Jésus. Ce qui plaît dans l'Echo du Paris, à des Madeleines fort peu repenties, ne saurait avoir le même succès, appliqué aux scènes de l'Evangile...

C'est pourquoi il a paru si piquant d'entendre un homme d'église, le père Didon lui-même, applaudir à l'entreprise de MM. Armand Silvestre et Morand. M. Didon, qui est décidément un homme tout à fait dans le train, malgré son nom antique, a déclaré par voie d'interview que les Drames sacrés sont de nature à restaurer la foi. Moi qui ne suis rien, pas même dominicain, j'aurais plutôt cru le contraire. N'est-ce pas découronner les choses divines, ou présumées telles, que les réduire à des effets de scène, à des tirades d'acteur, à des maquillages pour le moins profanes ? Le père Didon en pense autrement. Puisqu'il en est ainsi, pourquoi ne viendrait-il pas au Vaudeville faire une conférence commentant les Drames sacrés ?

Quelle concurrence pour Sarcey et Félicia Mallet, pour Hugues-le-Roux et Yvette Guilbert!

Quoi qu'il en soit, et malgré l'interview du père Didon, il est vraisemblable que les chrétiens préféreront chercher l'âme de Jésus à l'église plutôt qu'au théâtre de M. Carré. Quant à ceux qui ne croient pas, mais qui trouvent une infinie douceur à la légende du Christ, ils reliront la Vie de Jésus par Renan, idylle sans pareille où palpite dans un verbe prestigieux une si profonde humanité...

Je lis dans les échos d'un confrère un événement qui va faire pousser des cheveux blancs à M. Méline. Ce Crillon du protectionnisme n'a plus qu'à se pendre - puisqu'on protège aux Etats-Unis des choses qui échappent chez nous au tarif des douanes. Voici le fait qui vient de se passer aux environs de San Francisco : Un beau matin, un facteur rural trouve dans son champ un bloc de fer météorique tombé du ciel pendant la nuit. Grand émoi dans le village : tout le monde veut voir le bolide. Mais survient un douanier, qui, se souvenant que l'importation du fer est frappée aux Etats-Unis d'un droit de 40 %, applique immédiatement au malheureux facteur les impitoyables pénalités du bill Mac-Kinley !

Et maintenant les astres n'ont qu'à se bien tenir ! Il ne faudrait pas s'étonner outre mesure si, pour ne point demeurer en reste vis-à-vis de l'étranger, M. Méline demandait des droits protecteurs contre « la pâle lumière qui tombe des étoiles » et contre les rayons de la lune, sous prétexte que c'est là une concurrence fâcheuse aux industries nationales du gaz et des lampes électriques!

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