Causerie
Prenant texte des réflexions qui nous étaient suggérées, il y a huit jours, par la fameuse histoire de la Maison hantée, une de nos lectrices qui professe, paraît-il, une foi robuste dans les mystérieuses révélations des esprits frappeurs et des tables tournantes nous demande ce que nous pensons du fait suivant, récemment rapporté par les journaux.
Une dame Pettitt, de Brooklyn, se trouvait dernièrement chez sa fille, Mme Sée, qui était alitée à la suite d'une opération chirurgicale. Comme la mère venait de passer dans une pièce voisine, Mme Sée vit soudain entrer dans sa chambre la silhouette de son père, mort depuis une quinzaine d'année. Elle entendit en même temps la voix de celui-ci s'adresser à Mme Pettitt en ces termes impératifs : Viens avec moi !
Toute troublée par cette apparition Mme Sée appela son mari et l'invita à aller aussitôt auprès de sa mère, ajoutant : Il a dû lui arriver quelque chose!
Incrédule, le mari se rendit néanmoins dans la chambre de sa belle-mère et la trouva morte, foudroyée par un mal subit.
Croyez-vous maintenant au spiritisme ?
ajoute notre aimable correspondante. Et pourquoi donc, s'il vous plaît? Il faudrait d'abord savoir ce qu'il y a de vrai dans cette histoire, dont l'origine américaine ne nous garantit aucunement l'authenticité, il s'en faut, les canards transatlantiques n'étant pas pour nous des palmipèdes inconnus.
Au surplus, qui nous dit qu'il ne s'agit pas là d'un simple pressentiment? Mme Sée était malade, alitée ; l'état d'agitation dans lequel elle se trouvait a fort bien pu produire dans son cerveau un songe funèbre que sa sollicitude à l'égard de sa mère, lui a fait prendre, à son réveil, pour une triste réalité, ce qui a motivé le pressant appel qu'elle a adressé à son mari.
Mais, dira-t-on, son pressentiment n'était que trop fondé, puisqu'en effet sa mère venait de mourir subitement. D'accord, mais qui nous dit aussi que celle-ci n'était pas tout simplement morte de sa belle mort, sans que la voix du père, entendue en rêve par la jeune femme, y fût pour quelque chose? Lugubre coïncidence tant qu'on voudra, mais voilà tout, et le fait s'explique aisément par lui-même sans qu'il soit besoin de faire intervenir des esprits. Les morts, hélas! ne parlent pas.
Et puis, pourquoi la vieille dame aurait-elle obéi à cette injonction d'outre-tombe? Elle s'accommodait sans doute tant bien que mal de son veuvage et ne demandait à aller retrouver son époux regretté qu'après lavoir pleuré longuement. Et alors comment s'y était pris le spectre pour la décider malgré elle à aller le rejoindre dans l'autre monde? Une hallucination maladive, un hasard malheureux, il n'en a pas plus fallu pour que les choses se soient passées comme on nous les raconte, il n'y a rien de mystérieux dans tout cela, et je ne me dépars pas de mon scepticisme invétéré.
Je les ai vus, les esprits, les esprits frappeurs même, moi qui vous parle, et je crois l'avoir déjà conté à cette place. Je les ai vus, il y a quelque vingt ans, un soir que les célèbres frères Davenport nous mirent en communication directe avec eux.
Ils étaient d'abord restés prudemment enfermés dans une armoire et y faisaient un boucan du diable, tapant à tour de bras sur toutes sortes d'instruments bruyants. Puis ils s'avisèrent de faire avec nous nous assistions au nombre d'une quinzaine à l'expérience, mes vieux confrères en pourraient témoigner, s'il en reste encore, hélas! Ils sortirent de leur armoire (je parle des esprits) et s'en vinrent nous administrer de petites tapes sur la tête.
Je dois même ajouter, pour rendre hommage à la vérité, que plus d'un d'entre nous s'en montra fort surpris et tout près de se rendre à ce qu'il croyait l'évidence. Mais dans notre petite assemblée se trouvait quelqu'un qui ne l'entendait pas ainsi. Homme de précaution, il s'était prudemment muni d'une boîte d'allumettes et la tenait à la main au moment où, dans la plus complète obscurité, les esprits commencèrent à se manifester sur nos tètes.
Dès qu'il sentit l'esprit frappeur se mettre en communication avec lui, dès que la main légère du spectre s'abattit sur sa tête, il fit aussitôt éclater une allumette, et nous vîmes l'agile esprit s'élancer d'un bond derrière son armoire. Cet esprit n'était autre qu'un des frères Davenport qui, chaussé de caoutchoucs, était venu sans bruit derrière nos chaises, et nous avait à l'aveuglette gratifiés de quelques petites tapes sur le sommet du crâne.
Davenport, honteux et confus, Jura, mais un peu tard, qu'on ne l'y prendrait plus.
Dès le lendemain, en effet, les deux fameux spirites pliaient bagages, et onques ne les revîmes. Ceci dit, je ne doute pas, madame, que vous ne m'aidiez vous-même à couper les ailes au canard brooklynois.