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    Causerie

    Semaine très mouvementée que celle-ci. Tandis qu'au pressant appel des candidats s'agitaient dans les cercles politiques les graves questions que le suffrage universel est appelé à trancher, des préoccupations d'un autre ordre assiégeaient les esprits féminins, à l'occasion des courses du Grand-Camp où les modes nouvelles reçoivent leur consécration solennelle, avec la trop fréquente adjonction, hélas! du baptême céleste.

    Bien qu'exposées en tout petit comité, ces préoccupations n'en sont pas moins passionnantes, et ce n'est pas sans de longues discussions que se terminent les intimes débats qui chaque année, à pareille époque, mettent aux prises nos habiles costumières avec leurs belles clientes. Celles-ci, j'imagine, ont dû se déclarer pleinement satisfaites, et l'effet produit par leurs toilettes me donne à croire qu'elles eut des deux mains voté l’ordre du jour de confiance sollicité d'elles.

    C’est qu'en vérité les modes actuelles sont particulièrement séduisantes. Entre nous, c'est entre hommes que je veux dire, les modes féminines le sont toujours, quand elles sont bien portées, et comme les Lyonnaises s'entendent à merveille à les faire valoir, vous pouvez penser, mesdames, si nous avons trouvé à notre goût celles qu'on vient de nous montrer.

    Effet du printemps ou sentiment artistique, qu'importe? La vérité est qu'elles nous agréent fort, et c'est là l'important. Pour si profanes que nous puissions être en la matière, nous autres hommes, j'estime que nous avons voix au chapitre, puisqu'aussi bien c'est surtout pour en régaler nos yeux qu'on les arbore, ce dont par réciprocité nous nous montrons volontiers non moins flattés que ravis.

    Notre appréciation a d'autant plus de valeur qu'elle est absolument sincère. Tel détail peut nous échapper qui frapperait un œil exercé, parfait ! mais nous nous bornons à juger de l'ensemble, et quand franchement nous concluons : c'est bien, on peut s'en rapporter à nous. Si la beauté est l'apanage féminin, nous en sommes les meilleurs juges, de par la loi de nature, et quand la femme sait rehausser cette beauté du charme d'une toilette exquise, c'est encore à l'homme que revient le doux privilège de l'admirer sans réserve, puisqu'après tout c'est surtout à son intention qu'on la porte.

    J'entends bien que la femme n'est point fâchée du tout de montrer ses atours aux personnes de son sexe, au contraire ; elle y éprouve même une grande joie, une vive satisfaction d'amour-propre ; mais elle sait aussi que de ce côté-là elle reste toujours exposée à la fâcheuse critique, tandis qu'auprès de nous ne se glisse jamais aucun sentiment de ce genre. Le moindre grain d'envie, j'ai failli dire de jalousie, ce qui eût été un bien gros mot, ne se mêle jamais à nos appréciations ; nous admirons sans restriction aucune ce qui nous paraît digne d'être admiré, rien de ce qui touche à la beauté de la femme ne pouvant nous rester étranger.

    Et n'est-ce pas au fond le but suprême de l'a coquetterie féminine que le désir de plaire ? La femme, fille d'Eve, est faite pour nous tenter ; depuis que le monde est monde il en a toujours été ainsi, et il n'en pourrait être autrement. Nous ne nous en plaignons pas, il s'en faut, simplement nous constatons, après tant d'autres.

    Il en faut si peu du reste à la femme pour exercer sur l'homme cet art de la séduction, qui est inné chez elle ! La plus humble fille des champs s'y connaît aussi bien, dans son genre, que nos belles mondaines ; la moindre fanfreluche qui la pare exerce un irrésistible effet sur les gars de son village, et elle sait tout comme une autre, par grâce native, faire surgir autour d'elle, dans un bal champêtre, son petit cercle d'admirateurs convaincus qui se disputent ses préférences.

    Vous souvient-il de ces troupes de négrillonnes qu'on nous exhiba, ces dernières années, comme des bêtes curieuses? Celles-là aussi exerçaient à leur manière, sans s'en douter peut-être, sur leurs compatriotes de l'autre sexe, cette séduction dont nous parlons, par le simple arrangement d'un pagne d'indienne aux couleurs voyantes, rehaussé de menues verroteries dont l'effet tentateur se traduisait sur les regards charmés de leurs noirs compagnons.

    Toutes les mêmes, les femmes, dans toutes les situations, dans tous les mondes, dans tous les pays, toutes aussi séduisantes pour le milieu où elles vivent. Aussi faut-il compatir sincèrement aux doléances très sérieusement présentées par un grave journal australien. Il paraît qu'on manque de femmes dans la Nouvelle-Galles du Sud. Il y en a certes, mais la différence du nombre entre les représentants des deux sexes est si considérable que ce journal pousse un cri d'alarme et demande des femmes à tous les échos du vieux monde. Il s'adresse naturellement à la mère-patrie et l'adjure de mettre un terme à cette situation on ne peut plus fâcheuse à tous égards. Heureusement que l’Angleterre est abondamment pourvue des éléments qui font défaut à l'Australie ; avec l'esprit commercial qui la distingue, elle ne manquera vraisemblablement pas d'en faire sans-tarder un nouvel article d'exportation.

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