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    Causerie

    Où s’arrêteront les ravages causés dans le cœur des grandes dames par les musiciens tziganes? En voilà plusieurs qui depuis quelque temps se sont laissé prendre aux séductions de leurs yeux langoureux et de leur archet triomphant, et la série ne paraît pas près d'être épuisée. Le célèbre Rigo a fait école, et il ne se passe plus trois mois sans que les échos de la presse retentissent du bruit de quelque escapade amoureuse dont un de ces bellâtres a été le héros.

    Le dernier en date est un certain Baki dont une honneste et belle dame , comme disait Brantôme, une belle comtesse d'origine française, avait fait la connaissance à Paris et s'était éperdument éprise. À l'issue d'un concert où il s'était produit, la comtesse s'était attachée à ses pas, et le lendemain on apprenait que les deux amoureux venaient de partir dans une autre patrie pour y cacher leur bonheur.

    Ce bonheur fut de courte durée. Peu de temps après, eu effet, le volage tzigane disparaissait, emportant, avec le souvenir des jours heureux qu'il venait dépasser, une somme importante volée à sa maîtresse ; ce n'était, paraît-il, pas la première fois que l'indélicat bohémien se comportait de la sorte, c'était sa manière a lui de « voler » de conquête en conquête.

    Revenue de sa détresse amoureuse, la comtesse n'eut plus qu'une pensée, retrouver l'infidèle à qui elle avait donné son cœur mais non pas sa fortune ; lui faire rendre l'argent, sinon l'honneur, devint dès lors son unique préoccupation. Elle se lança sur ses traces et, après de longues pérégrinations, finit par le retrouver au pays natal où il s'était retiré au sein de sa famille. Le gaillard était marié ; et il jouissait en paix, avec sa femme et ses enfants, de ce qu'il appelait le fruit de ses économies, quand l'abandonnée parvint à découvrir sa retraite.

    Traduit devant le tribunal de Budapest, sur la plainte de la comtesse, Baki vient de s'entendre condamner à deux années d'emprisonnement au cours desquelles il pourra méditer à loisir sur les inconvénients de l'indélicatesse et les dangers du ressentiment féminin. Ainsi vengée, la belle comtesse a retrouvé la paix du cœur, à défaut de la somme volée que le larron avait à peu près entièrement dissipée.

    On fait des folies à tout âge, à preuve l'aventure suivante que racontent les journaux de Paris, et dont une vieille dame presque octogénaire vient d'être l'héroïne inattendue.

    Quoique âgée de soixante-dix-huit ans bien sonnés la vieille dame brûlait d'un étrange désir, celui de se marier. Comme on s'en doute, si son cœur était encore plein de flamme, son cerveau ne contenait plus qu'une vague lueur de raison. Désireuse de réaliser au plus tôt son rêve — il était en effet naturel qu'elle ne voulût pas attendre, depuis qu'elle l'avait conçu, que celui qui devait faire son bonheur se présentât de lui-même, — elle s'en alla à la foire consulter deux somnambules sur son cas, et elle leur demanda s'il n'était pas dans Paris quelque beau jeune homme disposé à convoler en justes noces avec elle.

    Vous pensez si les deux particulières s'empressèrent de répondre affirmativement. Le beau merle rêvé existait ; elles se chargeaient de le dénicher, et elles ne tarderaient pas à l'amener à leur cliente. Enchantée, celle-ci commença à verser quelques pièces de vingt francs nécessaires aux premières recherches; puis, comme celles-ci n'aboutissaient pas, elle y alla de plusieurs billets bleus, et une somme assez considérable ne tarda pas à y passer.

    Cependant les mois s'écoulaient, les économies aussi, et l'oiseau rare n'était toujours pas découvert. Prise de doute, la vieille voulut avoir des explications formelles ; elle se mit en quête des deux pythonisses et parvint enfin à en retrouver une.

    Finalement, désabusée, elle alla conter sa mésaventure à la police, et la sorcière, mise en arrestation, vient d'être condamnée à passer trois mois à l'ombre. Quant à sa complice, qu'on n'a pu découvrir, elle a été condamnée par défaut à trois années d'emprisonnement. Depuis lors la lueur affaiblie dans l'esprit de l'antique dame s'est un peu ravivée, et par contre son amoureuse flamme s'est complètement éteinte ; mais la voilà réduite à la portion congrue.

    Turpe senilis amor, disaient les Latins. La pauvre dame n'avait vraisemblablement pas connaissance du vieil adage, et elle ne s'était pas rendu compte de ce que son ardeur sénile avait de grotesque. Il est vrai qu'elle était un peu folle, qu'elle l'était même plus d'à moitié. Et puis, que voulez-vous ? Comme nous le disions tout à l'heure, on fait des folies à tout âge, pas souvent il est vrai de ce calibre-là. Mais c'est assez épiloguer sur ce vilain sujet ; jetons un voile et n'en parlons plus.

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