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    Causerie

    S'il est vrai que les fêtes sont le meilleur aiguillon des affaires — et rien n'est plus certain, à notre humble avis — les Lyonnais n'ont pas à se plaindre en ce moment ; ils sont en effet, de ce côté, servis à souhait. Aux fêtes organisées par le Progrès et qui durant trois grandes journées ont mis tout Lyon en mouvement, succédait, dimanche dernier, la solennelle commémoration d'un des plus glorieux enfants de notre antique cité, l'héroïque sergent Blandan, et voici que maintenant se déroulent les séduisantes réunions du Concours hippique, rendez-vous obligé des hommes de sport et de toutes les élégances.

    Si les premiers sont relativement peu nombreux, les dernières par contre sont légion, et elles donnent à ces réunions un caractère qui n'en augmente pas médiocrement l’attrait. C'est là en effet que se révèlent dans toute leur fraîcheur les nouvelles modes de la saison, particulièrement réussies cette année, et tandis que de hardis cavaliers, distraitement suivis dans leur parcours, se succèdent sur la piste, on caquète ferme dans les tribunes, on passe en revue les toilettes, et l’on fixe son choix pour les prochaines journées des courses du Grand-Camp, dont les préparatifs vont mettre sur les dents toute une armée de modistes et de couturières. Bonne chose, vraiment, que toutes ces fêtes.

    Puisque nous parlons modes, il faut vous raconter le moyen original qu'une cinquantaine de jeunes filles de Kansas-City, aux Etats-Unis, ont imaginé pour venir visiter économiquement l'Exposition universelle. Tout le monde là-bas n'a pas la colossale fortune de cette jeune fiancée, Mlle Rockefeller, fille du « roi des pétroles », qui possède, paraît-il, trois cents millions de dollars, et il s'agissait pour ces cinquante demoiselles d'économiser chacune douze à quinze cents francs sur leurs dépenses de toilette, afin de pouvoir s'offrir le voyage et le séjour à Paris pendant un mois.

    Qu'ont imaginé les jeunes misses ? Depuis un an et demi elles ont eu l'idée d'échanger entre elles leurs toilettes et de confectionner elles-mêmes les autres vêtements, tels que linge de corps, bas, chapeaux, etc. De la sorte quand l’une d'elles avait assez de son costume tailleur elle le passait à une autre, qui justement en mourait d'envie, et recevait en échange, de celle-ci, une toilette qui avait cessé de plaire. Il n'y avait plus qu'à ajuster à sa taille le costume ainsi reçu et à le modifier selon son goût.

    Cet échange a dû donner lieu parfois à de bien singuliers accoutrements; mais bah ! les jeunes filles élevées en Amérique ne s'arrêtent pas à ces bagatelles, et la peur du qu'en-dira-t-on n'est pour elles qu'un vain mot. Elles ont bien tranquillement passé outre, et ce ne sont guère que les couturières de profession qui n'ont pas trouvé la combinaison de leur goût. Quant aux intéressées, elles ont ainsi recueilli les deux cent cinquante à trois cents dollars qui leur étaient nécessaires, et elles ne vont pas tarder à se mettre en route pour Paris où leur premier soin sera vraisemblablement de se commander une toilette neuve, qui leur permettra au retour d'éblouir leurs concitoyennes.

    Bien étranges tout de môme que ces mœurs de l'Amérique d'où nous vient chaque jour quelque nouvelle extravagante. La dernière en date est le plaisant litige survenu entre deux maisons de New-York, à propos du nez de l'amiral Dewey.

    A l'occasion des fêtes qui se préparent dans cette ville pour célébrer le deuxième anniversaire de la bataille navale de Manille, un négociant avait commandé à un industriel de l'endroit cinq mille médailles à l'effigie de l'amiral ; mais il a refusé d'en prendre livraison en constatant que le héros avait une verrue sur le nez. On peut être un homme illustre sans avoir le profil pur de l'Apollon du Belvédère, le nez de Cicéron l'a éloquemment prouvé ; mais le négociant américain n'a rien voulu entendre, l'excroissance dont le graveur a gratifié le nez de l'amiral lui a souverainement déplu et il n'a pas voulu en admettre la réalité. Le fabricant, par contre, n'a rien voulu modifier aux traits de l'amiral, si bien que la comparution de ce dernier devant le tribunal semble s'imposer pour trancher le différend.

    Reste maintenant à savoir si l'amiral consentira à fourrer son nez dans cette affaire. La question toutefois paraît plus facile à régler que celle que se pose avec perplexité un des compatriotes de l'amiral, fermier au Montana.

    Ce brave fermier a tout simplement conçu le projet de transformer ses terres en paradis terrestre et d'en être l'Adam. Naturellement il lui fallait une Eve, et n'espérant pas la voir sortir d'une de ses côtes, il l'a demandée tout simplement à la quatrième page des journaux. Comme il possède une fort belle aisance, les réponses ont afflué ; de respectables veuves, des vierges et même des demi-vierges se sont mises sur les rangs et il n’a plus que l'embarras du choix.

    Mais une chose le chiffonne. Quelle était la couleur des cheveux d'Eve? La croqueuse de pommes était-elle blonde, comme nos peintres se plaisent à la représenter, ou brune, ou châtaine, ou carotte ? Comme il paraît déterminé à ne se décider que lorsqu'il sera fixé, il risque de chercher longtemps. Que n'en prend-il une de chaque nuance?

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