Sommaire :

    Causerie

    La saison est tardive cette année. Il y a dix jours à peine, les bourgeons des marronniers de Bellecour demeuraient obstinément clos, à quelques exceptions près, et il a fallu la radieuse journée de dimanche dernier, une journée estivale au seuil du printemps, pour faire enfin craquer le corset emprisonnant encore les frondaisons d'un vert si tendre dont la soudaine apparition a joyeusement coïncidé avec l’ouverture des journées de fête organisées par le Progrès.

    De sorte que les innombrables visiteurs qui ont bien voulu, venir suivre les palpitantes péripéties du concours de boules et apporter leur obole aux œuvres philanthropiques en faveur desquelles notre fête de bienfaisance avait été organisée, ont eu la primeur de cette éclosion printanière, d'un toujours délicieux effet.

    Cette réunion où le vieux sport si populaire à Lyon et dans toute la région du Sud-est, dont notre ville est la vraie capitale, a tenu ses triomphales assises, laissera, nous en sommes convaincu, un ineffaçable souvenir dans la mémoire de tous ceux qui y ont participé, et nous avons la certitude qu'elle contribuera au développement d'un jeu bien français dont il serait superflu de louer ici le charme.

    Oh ! les belles passes auxquelles a donné lieu ce grand tournoi de trois jours, où plus de deux mille joueurs ont pris part, et les saines émotions qu'il a données aux spectateurs ! Un Parisien de nos amis, qui s'y était laissé entraîner non sans une réserve quelque peu sceptique de sa part, n'en revenait pas, et il en a éprouvé un ravissement qu'il a hautement témoigné.

    Ça ne lui disait rien, le jeu de boules, et il s'attendait, — il nous en avait prévenu — à un assez médiocre spectacle. Mais dès qu'il s'est trouvé en présence des remarquables champions accourus de tous les points de la région, et qu'il a été témoin de leurs prouesses, il s'y est passionné à tel point que jusqu'à la fin du concours, nous n'avons pas eu de plus assidu spectateur.

    Il ne pouvait pas trouver une meilleure occasion de s'initier à ce jeu que jusque-là il avait toujours considéré comme un passetemps des plus insignifiants, et nous avons pris plaisir à le voir manifester son enthousiasme, applaudissant à tout rompre à chaque « carreau » ou a un beau coup de pointage, et s'extasiant aux merveilles de tactique déployées à tout instant par les chefs de file pour amener ou pour retenir dans leur camp l'inconstante victoire.

    Jamais, il faut le dire, plus brillante assemblée de joueurs n'avait été réunie dans un concours, et tous ceux qui ont suivi la lutte épique engagée entre les principales quadrettes sont sortis émerveillés de ces mémorables séances où se sont mesurés les virtuoses de la boule.

    Ajoutons à la louange des joueurs que tous se sont comportés avec la plus parfaite courtoisie. Cette constatation, tous ceux qui ont assisté au concours l'ont faite aussi bien que nous. Les rencontres, certes, ont été acharnées ; mais, le combat fini, les adversaires sont restés des amis, et les vaincus se sont inclinés de la meilleure grâce du monde devant la supériorité des vainqueurs.

    Comme la musique, le jeu de boules adoucit les mœurs ; à ce titre seulement on ne saurait trop l'encourager, sans compter que ce sport de plein air est éminemment salutaire au corps et qu'il procure en outre une des distractions les plus agréables qu'on puisse imaginer.

    Nul exercice n'est plus sain que celui-là ; les solides qualités de la race de nos régions se sont assurément développées à sa pratique ; on en peut juger par la belle indifférence avec laquelle les joueurs supportent les variations de la température.

    Par les froids les plus vifs ils mettent volontiers habit bas, pour n'être pas gênés dans leurs mouvements, et les plus cuisantes chaleurs sont impuissantes à les faire reculer. Les spectateurs transpirent parfois rien qu'à voir leur extraordinaire entrain ; eux ne s'émeuvent de rien ; ils joueraient sur une banquise si le terrain n'était pas si glissant, et feraient des portées superbes dans les sables brûlants du Sahara.

    Même sous une averse ils demeurent impassibles, quand la partie est sérieusement engagée, et l'on pourrait dire que, comme les premiers navigateurs dont parle Horace, un triple airain recouvre leur poitrine.

    Ce ne sont pas, comme on voit, de minces avantages qui résultent de la pratique assidue du jeu de boules ; aussi est-ce avec la plus vive satisfaction que nous le voyons prendre en ce moment un développement considérable ; nous lui devrons sûrement des santés plus robustes et un accroissement de vigueur physique de plus en plus marqué.

    C'est bien quelque chose cela, n'est-ce pas ? par ce temps de mœurs casanières qui souvent a fait pousser un cri d'alarme à ceux qui s'intéressent à l'avenir du pays et qui voient dans les sports salutaires comme le jeu de boules un des plus efficaces remèdes contre l'appauvrissement du vieux sang gaulois.

    droit d'utilisation : Licence Ouverte-Open Licence

    Retour