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    Causerie

    Durant toute une semaine et plus, à la veille du jour où allaient solennellement s'ouvrir les grandes assises du travail et de la paix, auxquelles la France à convié le monde, les journaux parisiens ont été remplis de nombreux incidents résultant d'une provocation en duel aussi retentissante que futile, et ç’a été pendant plusieurs jours un grand cliquetis d'épées a couvrir le bruit de la foire à la ferraille qui s'ouvrait en même temps.

    La provocation, qui paraît avoir comme cause première une querelle d'ordre intime survenue il y a quelque temps entre deux jeunes gens, MM. le baron Robert de Rothschild et le comte de Lubersac, alors qu'ils se trouvaient encore sur les bancs du collège, la provocation est venue de M. de Lubersac qui, l'autre jour, a fort inopinément adressé une lettre injurieuse à son ancien compagnon d'étude. M. Robert de Rothschild s'est empressé de mettre deux de ses amis en rapport avec les témoins désignés par son adversaire ; mais ceux-ci ont refusé la rencontre sous le prétexte que M. de Rothschild n'était pas encore majeur, et ils ont demandé un arbitrage.

    Naturellement cet arbitrage a été refusé et M. Robert de Rothschild a vertement fait savoir à M. de Lubersac que lorsqu'on trouvait quelqu'un assez âgé pour l'injurier on avait plus que mauvaise grâce à le trouver trop jeune pour lui rendre raison. Là-dessus l'affaire s'est envenimée ; M. de Lubersac, ne sachant comment sortir de ce mauvais pas, a envoyé à M. Edouard de Rothschild, cousin du baron Robert, une lettre dans laquelle il lui déclarait que ne pouvant s'en prendre à ce dernier avant ses vingt et un ans révolus, il le tenait comme responsable en qualité de fils du chef de la famille.

    Les deux témoins désignés par M. Edouard de Rothschild ont fait à M. de Lubersac cette réponse bien simple qu'une rencontre avec leur ami ne saurait avoir lieu avant que satisfaction eût été donnée à M. Robert de Rothschild, la primauté de réparation appartenant au premier offensé et la substitution de personne ne pouvant avoir lieu, en l'espèce, sans un manquement absolu aux règles du duel.

    Mais l'affaire, véritable affaire à tiroir, n'en est pas restée là ; elle s'est compliquée d'un duel entre M. de Lubersac et M. Ephrussi, que le premier avait mis incidemment en cause, et d'une autre rencontre entre deux des témoins, MM. de Dion et de Saint-Alary. Singulière affaire en somme, où l'on ne voit guère que les témoins qui se battent ! Elle n'est, paraît-il, pas près d'être close ; si elle se continue, nous marquerons les coups.

    A la vérité ce n'est point à Paris seulement qu'on est ainsi d'humeur à s'occire ou, à tout le moins, se gratifier d'une bonne petite saignée ; c'est un peu partout qu'on s'en va sur le pré, et comme décidément cela est bien porté et que la mode l'ordonne, voici maintenant que les femmes s'en mêlent. Vous avez lu l'histoire qui s'est passée à Mexico entre deux ravissantes senoritas du meilleur monde.

    Paris aussi a eu, ces jours derniers, sa bataille de dames, dans laquelle le sang a coulé, et qui a failli avoir une fin tragique. Elle a eu lieu, nous devons le dire, dans des conditions moins chevaleresques, et pour un objet moins intéressant, soit dit sans fatuité masculine, que l'irrésistible moustache d'un beau cavalier mexicain ; une bataille à propos de bottes ou, pour être plus exact, à propos d'un chapeau. C'est d'ailleurs dans tout ce qu'il y a de plus quart de monde que l'affaire s'est passée.

    Plusieurs jeunes femmes se trouvaient réunies dans un salon quelconque — oh ! très quelconque — quand une modiste apporta pour l'une d'elles un chapeau, un de ces amours de chapeaux qu'excellent tant à confectionner les doigts de fée des modistes parisiennes, un de ces petits chapeaux à peine grands comme ça, qui ne sont rien sur la tète, mais qui sont souvent énormes sur une facture.

    Il était si joli, si mignon, que toutes les personnes présentes voulurent l'essayer à tour de rôle. Fatale coquetterie ! c'est ici que les choses se gâtèrent. L'une d'elles l'ayant gardé un peu trop longtemps sur la tête — il lui seyait si bien ! — fut l'objet des critiques d'une de ses voisines. Après un échange de mots plutôt vifs, on en vint bientôt aux... ongles. Brusquement l'une des combattantes, doutant de la vigueur de ses armes naturelles, saisit une épingle à chapeau et frappa de la pointe son adversaire. Piquée au vif, dans les deux sens du mot, celle-ci s'empara d'un couteau avec lequel elle fit à l'assaillante une assez grave blessure. On eut toutes les peines du monde à l'empêcher de la larder à fond, et l'affaire aura son dénouement devant le tribunal correctionnel.

    Plus pacifique a été la lutte qui s'est engagée dimanche dernier au sein de la Société des gens de lettres. Plusieurs dames s'étaient mises sur les rangs pour entrer au comité, et non des moins talentueuses, telles que Mme Henry Gréville et cette remarquable romancière dont nous n'avons pas à faire l'éloge aux lecteurs du Progrès illustré, et qui signe Daniel Lesueur. Toutes deux ont été battues, et c'est fort regrettable à tous les points de vue, ne serait-ce que parce qu'elles ont énormément de talent, n'en déplaise à leurs adversaires. Le procédé d'élimination employé à leur égard nous paraît d'autant plus fâcheux que leur présence dans le comité ne pouvait qu'en rehausser considérablement l'éclat.

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