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    Causerie

    Les savants sont sans pitié. Il ne se passe pas de jour qu'ils ne signalent quelque péril nouveau pour notre pauvre humanité, si bien que nous en sommes amenés à nous demander comment il peut se faire qu’elle ait pu jusqu'à présent échapper à une destruction totale. Pour eux en effet l'air que nous respirons, l'eau que nous buvons, le pain, la viande, les aliments de toutes sortes dont nous faisons une consommation quotidienne, sont infestés de microbes ; notre linge, nos vêtements on sont abondamment garnis ; ils foisonnent sur la pièce de monnaie, le billet de banque, les cartes à jouer ; les gracieuses voilettes derrière lesquelles les jolies femmes abritent la fraîcheur de leur teint, loin d'être pour elles une garantie, constituent de dangereux foyers d'infection ; toucher la main à un ami est plus qu'imprudent, donner un baiser est un crime — un crime suivi de suicide.

    Ils nous la baillent belle, vraiment, ces bactériologistes de malheur ; à les entendre il ne faudrait jamais voir personne, ne jamais mettre le pied à la rue, et encore n'en serait-on pas plus avancé, car nos logements, si bien tenus soient-ils, sont eux aussi de véritables nids à microbes. Qu'ils vivent donc sous cloche — comme les melons — si cela leur fait plaisir, mais qu'ils nous laissent tranquilles et n'empoisonnent pas nos jours avec leurs périls imaginaires !

    Mais non, ils ne veulent pas ; ils vont et viennent comme-tout le monde ; seulement, cela les agace de nous voir tranquilles, et ils cherchent tous les moyens de nous dégoûter de l'existence ; voyant tout en noir, ils n'admettent pas qu'on puisse éprouver quelque plaisir à vivre ; ils jouent aux croquemitaines et ne pensent qu'à nous effrayer, qu'à nous terroriser.

    Voici maintenant qu'ils s'en prennent aux fleurs, et qu'ils les dénoncent à la méfiance publique. Ils se sont livrés sur elles à des expériences de laboratoire, et le résultat de leurs travaux est qu'il faut se garder d'elles comme de la peste, car ils ont découvert que les plus pernicieux microbes grouillaient dans leurs calices odorants aussi bien que dans la vase des plus puants égouts.

    A ce compte-là, et les papillons ! et les abeilles ! Comment se fait-il que si les fleurs sont si dangereuses, ils ne soient pas foudroyés sur place en les butinant? Oh ! oui, je sais, ces insectes sont réfractaires à l'infection florale. Mais nous aussi, alors, puisque nous ne nous en portons pas plus mal ! Fleurissez-vous donc, mesdames, et laissez fulminer les savants qui voudraient vous empêcher de trouver les roses belles et leur parfum exquis.

    Parlons plutôt du projet de M. Albert Fleury. Celui-ci ne redoute pas les parfums, au contraire ; il a étudié leur action sur le cerveau et il se propose d'en tirer un délicieux parti.

    Les parfums, écrit-il, jouent un rôle considérable dans la vie des peuples, et ils donnent leur caractère à une époque. Le musc, l'iris et l'eau de myrte rappellent l'élégance hardie des gentilshommes de Louis XIII ; la bergamote et la frangipane sont coquettes et voluptueuses, comme le siècle qui les créa ; la violette a de la réserve, l'héliotrope blanc de la langueur, le chypre des caresses troublantes.

    Partant de là, M. Fleury propose de mêler ces éléments précis, de les moduler en quelque sorte en mélodies, en accords, en symphonies, et d'en faire une musique silencieuse. Avez-vous bien compris, au moins? Ce n'est peut-être pas bien sûr, et on peut se demander comment il s'y prendra pour nous faire sentir convenablement toutes ces merveilles. Espérons néanmoins et attendons, sans trop d'impatience, la réalisation de ces harmonieuses promesses.

    Comme les dénicheurs de microbes dont nous parlions tout à l'heure, les milliardaires américains ont parfois des fantaisies macabres. De ce genre est le bal qu'une richissime dame de New-York a offert récemment, à l'occasion de la mi-carême, aux membres d'un des principaux clubs de cette ville. Il paraît que ce fut passablement effrayant ; on en peut aisément juger par les détails qui vont suivre.

    Travestis en esprits et en spectres, les. invités firent leur entrée dans les salons aux sons lugubres d'un orchestre de musiciens déguisés en croque-morts. Annoncés sous des noms symboliques, ils passaient sous des projections de calcium qui leur donnaient un aspect aussi bizarre que fantastique.

    Puis au milieu d'eux arriva l’Esprit de l'Or, personnifié par une miss d'une remarquable beauté, vêtue d'un costumé de crêpe blanc, avec une jupe étincelante bordée de pièces d'or et une ceinture d'or. Elle avait sa chevelure couverte de poudre d'or et semée de pépites du précieux métal.

    Dans cet étrange accoutrement elle se livra à diverses danses ultra fantaisistes, entourée d'un cercle de prêtresses du sabbat. Les danses terminées, les « esprits » prirent part à un souper des plus fastueux, et la fête, au dire des échotiers mondains, se termina au milieu d'un entrain endiablé. Bizarre, n'est-ce pas ? bizarre, et c'est tout, car, entre nous, ces puissants millionnaires me font l'effet d'avoir autant de pauvreté dans leur imagination que de richesses clans leurs coffres-forts.

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