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    Causerie

    On a raconté ces jours-ci que les hospices de Lyon venaient de bénéficier d'un legs considérable — il s'agit de près d'un million — dans des conditions bien originales. Récemment décédait un vieillard habitant une misérable chambre sur la rive gauche du Rhône. Vêtu d'une façon plus que négligée et se nourrissant fort chichement, il passait pour un pauvre diable déshérité du sort, et malgré le mystère dont il entourait son existence, il inspirait à son voisinage une réelle commisération.

    Quand il fut mort, le commissaire de police du quartier se transporta dans son taudis pour procéder aux constatations légales, et quelle ne fut pas sa surprise en découvrant, soigneusement cachés en divers endroits du logis, de lourds sacs d'écus et des liasses de titres et de billets de banque. Il découvrait aussi un bout de papier, sur lequel le vieillard avait écrit ses volontés dernières, léguant, comme nous venons de le dire, toute sa fortune aux hospices de notre ville, à la seule charge d'entretenir son tombeau.

    On s'est souvenu depuis que le bonhomme avait été arrêté un jour, comme vagabond, par des gardiens de la paix. Conduit au poste, il avait été trouvé porteur de cinquante mille francs ; mais comme il avait parfaitement justifié de la propriété de cette somme, on l'avait immédiatement remis en liberté.

    Singulière existence que celle de cet homme, qui se privait du nécessaire entouré d'un véritable trésor ! A quels sentiments obéissait-il pour mener une aussi chétive existence? Etait-ce avarice sordide ou absolu mépris des biens de ce monde? On ne sait. Toujours est-il que si de son vivant il s'est refusé à utiliser sa grosse fortune, il en a su du moins, en mourant, faire un très judicieux emploi. Ayant vécu pauvrement il a pensé aux pauvres après lui ; c'est d'un bon philosophe.

    La comtesse de Castiglione, morte il y a quelques mois à Paris, a, dans son testament, pensé surtout à ses chiens. Après avoir fait, sous l'Empire, les beaux jours des Tuileries, où, venue d'Italie, elle joua un rôle assez énigmatique, elle avait de bonne heure perdu la rare splendeur de ses charmes et vivait depuis confinée dans un très médiocre appartement d’où elle ne sortait jamais, passant chaque jour, dit-on, de longues heures à contempler le magnifique portrait qu'elle s'était fait faire au temps de sa radieuse beauté.

    Après avoir indiqué les bijoux qu'elle voulait emporter dans sa tombe, la comtesse a demandé, par testament, que deux chiens qui avaient été les uniques compagnons de sa retraite, et qu'elle avait fait embaumer, fussent placés à ses côtés, couverts de riches étoffes et portant au cou des colliers de roses. Légèrement toquée, l'ex-belle comtesse qui, après tout, a peut-être voulu se venger ainsi des hommes en opposant à leur oubli la fidélité de ses caniches.

    Rien n'est fragile, hélas! comme la beauté. Mme de Castiglione l'éprouva avant le temps, et elle en était demeurée inconsolable. Que ne connaissait-elle, pour la conserver, le moyen employé récemment par Une professional beauty d'outre-Manche ? Ce moyen? Il est bien simple, comme vous l'allez voir.

    Tout d'abord la beauté en question s'est retirée pendant trois mois à la campagne, pour faire, comme on dit, peau neuve. Puis est intervenu un habile chirurgien, qui lui a ôté, par tout petits carrés, l’épiderme de la face. Une nouvelle peau, aussi fraîche que ferme, est alors apparue, et les lis et les roses ont remplacé la peau fanée d'antan. Fort simple, le remède, vous disais-je, quoique douloureux ; mais est-il bien aussi efficace qu'on nous l'affirme? That is the question.

    En Amérique, on a trouvé mieux encore. Non seulement on y sait conserver la beauté, mais on la donne à celles qui ne l'ont pas sans la moindre intervention chirurgicale. On a créé des cours pour cela, de véritables cours de perfectionnement pour le nez, la bouche et les yeux, et c'est à la musique qu'appartient cette précieuse propriété de rétablir ou d'augmenter l'harmonie du visage.

    D'après la théorie nouvelle, expérimentée par les Américaines, il paraît — et en un sujet aussi délicat il convient de citer textuellement — il paraît donc que

    les mélodies de Chopin font particulièrement valoir les blondes, dont elles illuminent les yeux et rendent le nez spirituel.
    Parfaitement !

    Pour les brunes, le Wagner s'impose, cette musique ayant l'heureux privilège de donner du relief à leur beauté, en accentuant l'expression de leur visage. Mais la palme revient à la musique de Verdi, qui convient également aux brunes, aux blondes et aux rousses en suscitant la rêverie et en agrandissant les yeux, dont le regard, sous la vibration des notes magiques, se perd et s'absorbe dans la vision d'un rêve lointain !

    N'est-ce point merveilleux? Voilà en tout cas qui vaut mieux que la méthode anglaise ; le remède est des plus agréables, et il n'en coûte guère d'essayer. Mais quel dommage que la saison théâtrale touche à sa fin... Il est vrai que pour nos belles lectrices le traitement serait tout à fait superflu.

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