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    Causerie

    Quand nous soupirions, il y a tantôt six mois, après la fin d'un implacable été dont on gardera longtemps le souvenir, nous ne pensions guère aux désagréments que devait à son tour nous causer l'hiver qui s'achève. Il fera froid, il gèlera ferme, et ce sera tant mieux, pensait-on, et si la bise pique, il sera plus facile de s'en garantir que des piqûres de ces affreux moustiques, ennemis du repos des humains, qui troublent nos nuits avec tant d'acharnement.

    On vivait ainsi d'espoir, et l'idée seule d'un changement de température suffisait à faire prendre à chacun son mal en patience, cependant que sévissaient les plus atroces chaleurs qu'il fût possible de supporter.

    Cette compensation, qui nous semblait bien due pourtant, nous ne l'avons pas eue, et si l'hiver nous a épargné ses ordinaires rigueurs, il a trouvé moyen d'être plus désagréable encore que ne l'avait été l'été, en nous amenant tout un cortège de maux contre lesquels nous nous débattons bien péniblement et qui ont fait d'innombrables victimes.

    Cette fâcheuse situation va-t-elle prendre fin? Il est peut-être permis enfin de l'espérer, puisque nous voici bientôt à l'aube de la saison printanière dont les bienfaisants effluves ne peuvent manquer d'exercer une salutaire influence sur la santé publique. Ce ne sera vraiment point dommage.

    Un observateur se fait cette remarque que c'est pendant les belles journées d'hiver, alors que le temps est froid, clair et sec, que les écoliers se conduisent le mieux, tandis qu'au contraire les punitions deviennent beaucoup plus fréquentes quand le ciel est obscur, humide et brumeux. Si cela est vrai, et nous n'avons aucune raison d'en douter, le pensum a dû sévir ces temps derniers avec une bien remarquable intensité.

    On ne saurait d'ailleurs nier l'influence des variations atmosphériques sur les caractères. Le soleil est évidemment pour beaucoup dans la jovialité parfois exubérante des populations méridionales, tandis que l'homme du nord, qui vit sous un ciel moins rayonnant, se montre beaucoup plus sobre de gestes et d'éclats de voix dans les manifestations de sa gaieté.

    Une autre remarque de l'observateur dont nous venons de parler vient à l'appui de sa thèse, c'est que ce sont les belles journées de printemps et d'automne qui provoquent dans les prisons le plus grand nombre de peines disciplinaires. Et cela s'explique parfaitement.

    Avec un temps maussade, les détenus sont naturellement plus portés à prendre leur mal en patience ; mais viennent les beaux jours, il va alors de soi que le regret de n'en pouvoir profiter à leur gré augmente le chagrin qu'ils ont de se trouver renfermés, chagrin qui se traduit par une recrudescence de mauvaise humeur, et partant d'indiscipline.

    Le même observateur va plus loin. — En voilà un, soit dit en passant, qui a manqué sa vocation ; avec l'acuité d'observation qui le distingue il aurait fait un astronome de premier ordre; à force d'observer le ciel il n'eût pas manqué d'arriver souvent bon premier dans la découverte de comètes inédites ; il serait devenu, heureuse destinée, l'honneur d'un de nos observatoires nationaux.

    Mais revenons aux observations auxquelles il s'est plus particulièrement voué. Chaque fois que le temps est beau, a-t-il remarqué, les erreurs d'addition deviennent plus fréquentes dans les établissements de crédit ou de commerce, et il attribue cette abondance d'erreurs à ceci, c'est qu'un soleil sous lequel l'homme se sent heureux de vivre inspire aux employés un excès de confiance en eux-mêmes et leur cause des distractions.

    La dernière remarque de ce sagace observateur est plus précieuse qu'on ne pense. Elle nous fixe enfin sur l'exagération des notes de certains hôteliers de la côte d'Azur. Si ces notes paraissent parfois un peu trop forcées, c'est le soleil qui est coupable, c'est lui qui donne aux caissières des distractions fâcheuses pour la bourse des clients.

    C'est qu'il est capable de tout, ce soleil du Midi ! Mais il a avec cela tant de qualités qu'on peut bien lui pardonner ce petit défaut ; qui n'en a pas?

    Il fait l'enchantement de ces régions fortunées où de tous les points du monde on accourt chaque année avec un empressement plus marqué.

    Aux uns, il apporte la joie d'admirer une des plus riantes contrées de notre douce terre de France, aux autres il apporte la santé. Quand par ailleurs le froid sévit, et que les brumes hivernales étendent dans l'air leur voile de tristesse, il brille dans l'azur triomphant.

    Merveilleux metteur en scène, il préside à toutes les fêtes et leur donne cet éclat particulier qui les rend incomparables, comme il le donne aux fleurs : mimosas, jacinthes, anémones, narcisses, violettes et autres, qui chaque jour en cette saison, nous arrivent à Lyon en gerbes odorantes, témoignages charmants de sa souveraine splendeur.

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