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    Causerie

    Toute médaille a son revers, dit un sage proverbe, et c'est ainsi qu'à côté de ses avantages la célébrité présente parfois des inconvénients plus ou moins sérieux. Le moindre fait qui se rapporte à une personne en vue prend tout de suite des proportions exagérées ; quantité négligeable pour le vulgaire, un événement, si futile soit-il, revêt à regard des personnes jouissant d'une grande notoriété un caractère particulier qui en décuple l'importance, ce qui parfois ne laisse pas de les contrarier vivement.

    Mlle Sarah Bernhardt en fait en ce moment l’expérience, à propos d'une petite mésaventure qui vient de lui arriver, et dont la divulgation, bien que pas du tout offensante pour la grande artiste n'en a pas moins eu le don de lui être fort désagréable, ainsi qu'elle en a fait la confidence à un de nos confrères parisiens. L’histoire a d'ailleurs un côté comique, et c'est ce qui nous amène à la rappeler.

    Or donc, ces temps deniers Mme Sarah Bernhardt effectuait une tournée dans le Midi. A son retour elle avait loué un compartiment de première classe qu'elle occupait avec sa femme de chambre. Son chien favori, dont elle ne peut se résoudre à se séparer, avait pris place à ses pieds.

    En gare de Bordeaux un contrôleur monte dans le compartiment pour examiner les billets. Apercevant le chien, il fronce le sourcil et d'un ton sévère enjoint à l’éminente tragédienne de faire conduire l’animal dans le fourgon spécial.

    Mais c'est le chien de Mme Sarah Bernhardt ! objecte la suivante.

    Quand ce serait celui du Petit Caporal, répond froidement le contrôleur, il ne resterait pas ! La loi est faite pour tout le monde, même pour les chiens !

    Mais les chasseurs ! riposte la soubrette.

    Les chasseurs ! Ça m’est égal voulez-vous oui ou non, faire descendre le chien ?

    Sur un refus formel d'obtempérer à cet ordre, le contrôleur se retire gravement et s'en va tout droit chez le commissaire spécial, lequel, dûment requis, dresse à la voyageuse un procès-verbal pour contravention à la police des chemins de fer.

    Cependant le train va partir. Le commissaire consent à ne pas retarder la voyageuse et il laisse le chien aux pieds de sa maîtresse. Mais il rentre aussitôt à son bureau et rédige sa procédure qu'il adresse incontinent au Parquet.

    L'affaire a suivi son cours, et c'est ici que le drame a tourne au vaudeville. Conformément aux usages le parquet de Bordeaux a invité celui de la Seine à faire procéder d'urgence à une enquête sur la contrevenante, demandant notamment, selon la formule, l'état civil exact de la nommée Sarah Bernhardt et des « renseignements sur la moralité et les moyens d'existence de cette femme ».

    Ainsi fut fait par un commissaire aux délégations judiciaires qui s'est transporté au domicile de Mme Sarah Bernhardt pour recueillir de sa bouche les renseignements demandés. Ajoutons qu'au rapport de l’intéressée elle-même ce commissaire a été d'une correction parfaite. Mais c'est égal, la fo-orme, comme dit Brid'oison, en a parfois de bien drôles, dans notre bon pays de France.

    Interrogée, comme nous l'avons dit, par un de nos confrères, Mme Sarah Bernhardt lui a déclaré que la loi étant faite pour tout le monde elle n'avait pas la prétention de s’y soustraire et qu'elle paierait l'amende. Mais, nous le répétons, le bruit fait autour de cette petite affaire l'ennuie beaucoup et elle aurait désiré qu'on n'en parlât pas. Impossible, madame, et c'est là le fameux revers de la médaille. Sans compter que l'histoire est assez jolie par elle-même et qu'elle méritait d'être contée.

    L'incident que nous venons de rappeler nous remet en mémoire une piquante aventure, inédite croyons-nous, dont Blanqui fut le héros et à laquelle la récente incarcération de Jules Guérin à Clairvaux donne une certaine actualité.

    C'était vers 1878, dans les derniers temps de l'emprisonnement du vieux révolutionnaire à la maison centrale. Un beau jour de printemps le conseil de révision de l’Aube s'était réuni dans un petit chef-lieu de canton situé à quelques kilomètres de Clairvaux. Les opérations de la révision terminées, le préfet de l'Aube eut l'idée d'inviter les membres du conseil à aller visiter la maison centrale.

    Le directeur de la prison, M. Dusserre, s'empressa d'accéder au désir du préfet, et les membres du conseil pénétrèrent dans les vastes bâtiments de la fameuse prison qu'ils tinrent à visiter en détail. Au cours de la visite le préfet proposa à ses invités de leur faire voir Blanqui, lequel était alors enfermé dans une vaste aile convertie depuis en infirmerie et où il faisait lui-même, sa modeste cuisine.

    Le directeur, hocha la tête ; il ne cacha pas au préfet que Blanqui n'aimait pas être pris pour une bête curieuse, et qu'il pourrait bien lui jouer un tour de sa façon. Mais le préfet insistant, Blanqui fut prévenu des visites qu'il allait recevoir et un quart d'heure après les membres du conseil, préfet en tête, pén??traient dans la pièce.

    Et que virent-il? En les entendant s'approcher, Blanqui avait lestement déboutonné son pantalon et l’avait laissé choir sur ses chaussures, et c'est de cette façon, en bannière, qu'il reçut ses visiteurs, en s'excusant malicieusement de n'avoir pu achever à temps sa toilette. Il n'avait pas fini de parler que le préfet et sa suite, fort penauds, étaient déjà loin, jurant, mais un peu tard, qu'on ne les y prendrait plus.

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