Causerie
À quoi rêvent les criminels? On croit volontiers qu'ils sont fréquemment en proie à des agitations pénibles, à d'affreux cauchemars qui, les mettant en face de leurs victimes, les empêchent de goûter un sommeil réparateur et sont comme la revanche de leur conscience. Et l'on en conclut que le vrai châtiment consiste bien plus dans les affres renouvelées de leurs transes nocturnes que dans l'horrible réalité du suprême réveil, alors qu'on vient leur annoncer que tout espoir est perdu et que leur dernière heure est arrivée.
Il paraît qu'il n'en est rien. Un savant italien, M. de Sanctis, vient de publier à ce sujet une intéressante étude dont les conclusions se trouvent parfaitement confirmées par les renseignement précis qu'on a pu lire ces jours-ci dans le Progrès, au lendemain de la condamnation à mort de Nouguier et Gaumet.
Le Progrès racontait en effet que les deux misérables avaient dormi très paisiblement dans leurs cellules, et qu'après avoir goûté, l'un comme lautre, les douceurs ininterrompues d'un tranquille sommeil, ils avaient fait honneur, aussi largement que possible, aux repas qui leur avaient été servis dans la journée.
M. de Sanctis s'est livré à de nombreuses expériences sur les détenus de la prison d'Orvieto, et il a remarqué que leur sommeil était généralement excellent; ils rêvaient peu, d'après leurs déclarations, et leurs rêves étaient fort paisibles. Quelques uns, il est vrai, ont raconté qu'ils avaient revu leur crime en songe ; mais ceux-là sont en quelque sorte l'exception, et en tout cas, ce n'étaient pas les criminels les plus endurcis. Quant aux autres, quant aux professionnels du meurtre, ils dormaient régulièrement les poings fermés, et ils se réveillaient frais et dispos.
Ce qu'on appelle le sommeil du juste n'est donc qu'un vain mot, et il faut décidément mettre au rancart cette consolante image ; il n 'y a plus pour les vrais criminels guettés par Deibler qu'un mauvais quart dheure à passer, un bien vilain quart d'heure par exemple, auquel ils ne sauraient se soustraire ; c'est bien le moins.
Chacun son dû. On jugeait justement ces jours derniers devant le tribunal correctionnel de Lyon, un individu impliqué dans une bien vilaine affaire. De cette cause nous n'avons pas à parler ici, mais nous pouvons bien dire un mot de son point de départ.
Ayant à purger une condamnation à quelques mois de prison, notre individu s'était imaginé qu'il pourrait trouver un remplaçant, et il s'était mis en quête d'un homme de bonne volonté qui, moyennant finances, voulût bien le suppléer dans cette fâcheuse corvée.
Il n'est pas arrivé à ses fins, mais il s'est montré fort surpris quand on lui a expliqué dans quel mauvais cas il se serait mis si sa tentative de remplacement avait reçu un commencement d'exécution. A lentendre, la chose lui avait paru toute naturelle, et du moment qu'au temps jadis on pouvait se faire remplacer au régiment, il estimait qu'il était licite d'en faire autant pour la prison en y mettant le prix.
Peut-être aussi avait-il lu le prospectus de cette agence étrangère dont une gazette anglaise cite les produits variés mis à la disposition des clients de la maison ; la nomenclature de ces articles mérite d'être reproduite en détail.
On trouve dans cette agence des hommes à l'allure grave et distinguée pour soirées de contrat, des causeurs spirituels capables d'animer la conversation pendant toute une soirée, des artistes habiles dans l'art de prendre des poses intéressantes, des jeunes gens d'élégante tournure initiés à toutes les subtilités du flirt le plus raffiné, des messieurs sur le dos desquel l'habit de cérémonie ne fait pas un pli :
L'agence se charge aussi de la fourniture de gentlemen pour accompagner les dames seules à la promenade et dans le monde, des organisateurs de dîners, des amuseurs pour garden-party, des invités pour funérailles doués de physiques ultra-mélancoliques, etc., etc.
Les extraits du prospectus cités par le journal anglais ne nous font pas connaître si l'agence tient également en location des remplaçants pour la prison, mais elle paraît si bien outillée que l'article doit sûrement exister en magasin ; le seul inconvénient à cela c'est que, comme certaines monnaies exotiques, il n'a pas cours légal en France.
Il se fait pourtant dans ce pays certains trafics autrement odieux. Il vous est souvent arrivé, n'est-ce pas ? de faire l'aumône à une pauvresse portant un bébé dans ses bras, tandis qu'un ou deux autres se cramponnent à ses jupes, et vous vous êtes apitoyé sur le sort de ces infortunés.
Certes, ces misères sont la plupart du temps authentiques ; mais il n'en va pas toujours ainsi. Dans les grandes villes, à Paris notamment, d'après le rapport de graves journaux, la location des enfants pour mendiantes se fait sur une vaste échelle. C'est surtout dans les mois d'hiver, à lépoque de la Noël et du Nouvel An que s'exerce cette hideuse industrie ; des bébés chétifs sont loués à des prix variant de vingt à quarante francs pour la saison.
Mais faut-il pour cela refuser son obole aux mendiantes qui tendent la main, dans la crainte d'avoir affaire à une de ces ignobles créatures qui exploitent de si indigne façon la charité publique? Bien certainement, non ; il vaut mieux donner quand même, à tout hasard ; mais c'est à la police qu'il appartient de veiller et dempêcher cette abominable exploitation.