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    Causerie

    Un grave journal médical publiait dernièrement une bien étrange recette : le moyen de planter des cils au bord des paupières des personnes privées de cet ornement naturel. Rien n'est plus simple, paraît-il. A l'aide d'une fine aiguille enfilée d'un long cheveu de la nuance préférée on fait un point de couture sur le bord de la paupière ; quand celle-ci est convenablement cousue, un coup de ciseaux sépare chaque point en son milieu, et le cheveu qui a servi de fil se trouve transformé en une rangée de cils aussi épais et aussi longs qu'on le désire.

    Entièrement cousus à la main, ces cils sont d’une solidité à toute épreuve et pour ainsi dire inusables. Que si par hasard ils finissaient par disparaître à la longue, il n’y a qu'à recommencer, et l’on aura toujours un bel assortiment de cils donnant au regard tout le charme désirable. Ils sont même souvent mieux que nature, assure-t-on, puisqu'on les serre à volonté et qu'on les coupe d'aussi belle longueur qu’on le veut. L'opération, on le conçoit, n'est pas sans douleur ; mais que ne souffrirait-on pas pour arriver à un si merveilleux résultat? Aussi sommes-nous persuadé que cette nouvelle industrie du cil artificiel est appelée à un brillant avenir.

    Il faut même s'attendre à voir bientôt paraître à la dernière page des journaux l'annonce d'un nouveau système de machine à coudre, la machine à coudre les cils, qui permettra d'opérer rapidement sur des quantités de paupières peu favorisées par l'avare nature. Nous la verrons sûrement à la prochaine Exposition, cette machine-là qui, cela va de soi, pourra aussi être utilisée pour regarnir les crânes les plus déplumés. Le mot « ramener » perdra une de ses significations les plus utilisées jusqu'à ce jour, et comme ces cheveux seront solidement fixés, on n'aura plus à courir le risque d'en trouver dans le potage.

    Par exemple, les artistes capillaires feront bien de se débarrasser promptement de leurs postiches et du stock varié de lotions régénératrices du cuir chevelu qu'ils peuvent avoir en magasin, s'ils ne veulent s'exposer à les voir rester pour compte dans leurs vitrines.

    Donc, plus de paupières indigentes, plus De « genoux », de « stakings à mouches », mais sur tous les visages des cils longs comme ça, et sur toutes les têtes des toisons luxuriantes qui transformeront en autant d'Absalons les possesseurs de crânes les plus dénudés.

    Voilà l'avenir, l'avenir prochain ; les nombreux intéressés n'ont qu'à s'armer d'un tout petit peu de patience ; ce qui n'est encore qu'une douce espérance sera demain, pour ceux qui en sont actuellement réduits à se peigner à l'éponge, la plus agréable des réalités.

    En attendant qu'ils inventent la machine à coudre les cheveux, les Américains viennent d'inventer une mode qui nous paraît appelée à de moins brillantes destinées, mais qui fait en ce moment fureur chez eux.

    Il y a quelques jours, une douzaine de personnes appartenant a une société dite des Quatre-Cents — la fine fleur de la jeunesse new-yorkaise — descendaient de voiture devant un hôtel, faisaient mettre le couvert et commandaient des huîtres. Les délicats mollusques étaient à peine avalés que les douze convives réglaient l'addition, remontaient lestement en voiture et se faisaient conduire dans un autre hôtel où ils faisaient honneur à un châteaubriant quelconque.

    L'addition ! s'écriait aussitôt l'un des douze, et tous de repartir en hâte dans la direction d'un troisième hôtel. Au dessert, ils avaient parcouru cinq ou six restaurants. Ils ont recommencé le lendemain et trouvent cela charmant. Grand bien leur fasse !

    Ces millionnaires ont vraiment d'étranges façons de promener leur ennui. Pratiques plus que personne en affaires, ils ne reculent, à leurs moments perdus, devant aucune fantaisie, si outrancière soit-elle. Une de leurs dernières joies, quand ils sont sur le point de dire un éternel adieu aux millions âprement amassés, consiste à ménager à leurs héritiers les plus bizarres surprises.

    L'un d'eux, mort récemment, avait, par testament, formulé le désir d'un monument funéraire fort simple : une seule pierre sans le moindre ornement. Seulement il a indiqué que cette pierre devait compter neuf mètres carrés à la base et vingt mètres de hauteur ; coût : 250.000 francs pour le bloc, de granit et 50.000 francs de transport, sans compter les frais accessoires. Quoique l'héritage fût d'importance, les héritiers ont médiocrement goûté la simplicité du testateur.

    Et que dites-vous de cette autre fantaisie? Une dame qui est dernièrement passée de de vie à trépas, a demandé dans son testament, entre autres conditions plus ou moins étranges, qu'après avoir été retirées du four crématoire ses cendres fussent jetées au vent du haut de la statue colossale de Bartholdi, La Liberté éclairant le monde, dans la rade de New-York. Cette clause est de toute rigueur, et il n'est pas douteux que le légataire se conformera aux exigences de la vieille toquée.

    Nous pourrions allonger la nomenclature de ces extravagances, mais nous n'en voyons guère la nécessité ; après ces deux exemples, on peut, sans insister, tirer l'échelle.

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