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    Causerie

    Qui veut une femme pour 7fr. 50? Ne vous récriez pas, mesdames, et veuillez surtout ne point considérer ce langage comme une offense à vos charmes, qui sont trésors inestimables. La seule idée de ce rapprochement me confusionne, et nous serions à des milliers de lieues de nous entendre si vous pouviez croire un seul instant que cette demande risquée vise la femme européenne, a quelque nation qu'elle appartienne. À des milliers de lieues, ai-je dit, et je me hâte de préciser. Il s'agit en effet du prix des femmes dans certaines régions du continent noir.

    S'il faut en croire un voyageur étranger qui vient de faire un séjour de plusieurs années dans la région du lac Tanganyika, on peut se procurer là-bas une femme pour six chèvres. Et comme ce dernier ruminant coûte dans ce pays très primitif, une moyenne de 90 centimes à 1 fr. 25, selon la grosseur, il s'ensuit que pour la faible somme de 7 fr. 50 on peut y trouver une femme de tout premier choix, le premier choix de l'endroit, je tiens bien à le répéter.

    Et notez que ces femmes-là passent pour les plus belles et les plus robustes du centre de l'Afrique ; on en trouve à meilleur compte encore dans certaines régions moins favorisées sous le rapport de la qualité, mais ces dernières sont plutôt négligées, étant donné l'extraordinaire bon marché de leurs belles voisines.

    Quelle est la valeur morale de ces femmes? Il est sans doute superflu d'insister là-dessus, mais on les dit laborieuses, obéissantes à leur seigneur et maître, et d'humeur fort égale. Quant au physique, il ne peut pas y avoir d'erreur ; avec elles on n'achète pas chat en poche, car elles sont aussi peu vêtues que possible, un collier de verroteries et quelques bracelets ou anneaux de jambes leur tenant lieu de grande toilette, et si elles passent pour être assez étoffées de leur naturel, elles vont à part cela complètement nues. On voit d'ici l'économie qui en résulte pour le ménage.

    L’homme est en ces pays assez volontiers polygame, cela dépend uniquement de ses ressources ; mais l’on comprend que dans ces prix-là il lui soit facile d'avoir à son foyer un certain nombre d'épouses, d'autant plus qu'elles vivent généralement entre elles dans les meilleurs termes, ce qui n'est évidemment pas commun. Quel curieux pays tout de même que cette Afrique, et que de choses extraordinaires on y peut voir ! Et dire qu'un des principaux soucis des grandes puissances européennes est à l'heure actuelle de faire pénétrer la civilisation dans ces régions reculées ! On peut se demander s'il en résultera de bien sérieux avantages pour ces bons nègres ; leur plus vif désir, ce nous semble, doit d'être autorisés à continuer ; mais on n'a guère l'habitude de les consulter là-dessus, et ils y passeront à leur tour. Les nations civilisées ont à cet égard des moyens d'action irrésistibles, et ils ne sauraient s'y soustraire longtemps encore. Aussi les amateurs de femmes à 7 fr. 50 feront bien de se hâter si le cœur leur en dit ; au train dont vont les choses il ne sera bientôt plus temps de réaliser d'aussi bonnes affaires. Les voici en tout cas bien avertis.

    Sans avoir à leur donner le moindre conseil à cet égard, nous n'hésiterions pas à leur recommander de se rendre sur les bords du Tanganyika plutôt que d'égarer leurs pas et leurs hommages vers cette jeune femme d'origine espagnole, dont les journaux américains nous racontaient ces jours-ci les prouesses matrimoniales.

    Cette singulière personne, qui détient assurément le record du mariage, vient de convoler pour la treizième fois en justes noces. Mariée pour la première fois à l'âge de dix-sept ans, elle obtenait son divorce sept semaines après, et le surlendemain, grâce aux facilités que donne la loi aux femmes dans ce charmant pays d'Amérique, une seconde lune de miel se levait pour elle et le nouvel élu de son cœur.

    Cette dernière union fut d'abord très heureuse, mais cela ne dura pas, car moins d'un mois après l'époux ayant cessé de plaire, la belle se hâta de lui trouver un successeur. Si bien qu'à l'heure actuelle cette bizarre créature a pu, en trente-six mois, épouser treize maris. Et comme son âge ne dépasse pas vingt ans, on peut se demander où s'arrêtera ce Barbe-Bleue féminin, si Dieu lui prête vie. On la dit riche et jolie ; mais à la façon cavalière dont elle comprend le mariage, il est permis de s'étonner qu'elle trouve si facilement preneur. Entre elle et la femme à 7 fr. 50 il me semble que je n'hésiterais pas et que ce n'est pas le chemin d'Amérique que je prendrais. Et vous?

    Comme femme modèle parlez-moi de celle dont un imprésario hongrois s'honore d'être le gendre. Tout dernièrement le théâtre que dirige cet heureux homme étant éclairé a giorno, les habitués, très intrigués, s'enquirent du motif de cette illumination imprévue, et qu'apprirent-ils? Que le directeur avait entendu par là rendre hommage à sa belle-mère, empêchée pendant quelque temps de fréquenter le théâtre par suite d'une maladie, et qui devait ce soir-là honorer la représentation de sa présence pour la première fois depuis son rétablissement.

    Enthousiasmés par ce témoignage de galanterie peu commune, les spectateurs saluèrent l'aimable belle-mère d'une triple salve d'applaudissements lorsqu'elle parut dans la loge de son gendre. Certaines dames âgées qui se trouvaient dans la salle ont peu goûté cette manifestation, et pour cause ; quant à la belle-mère modèle de nombreux soupirants sont allés depuis lui demander la main de sa seconde héritière.

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