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    Causerie

    Sauvés! nous voilà sauvés! l'heure où nos vagues humanités devaient sombrer dans l’écrabouillement général de notre planète, où le globe terrestre devait être pulvérisé par la rencontre d'une prodigieuse comète à la chevelure de feu, cette heure fatale à sonné, et rien n'est changé dans le meilleur des mondes — le meilleur pour nous assurément puisque nous ne connaissons pas les autres, et qu'il vient au surplus de le prouver en résistant victorieusement aux atteintes d'un ennemi redoutable qui devait, comme on dit vulgairement, n'en faire qu'une bouchée.

    N'empêche que l'alarme a été grande, et que la facétie macabre de l'astrologue autrichien Rudolf Falb, répandue aux quatre coins, si j'ose ainsi parler, de la « machine ronde », selon la familière expression du fabuliste, y a produit le plus vif émoi. En Russie des populations entières ont abandonné leur habitations, comme si le stationnement en plein air pouvait les préserver du chambardement universel, et les dépêches de Tunis nous ont appris qu'une vive appréhension s'est manifestée tant chez les israélites que chez les musulmans, à l'approche du jour indiqué.

    Ne riez pas. Chez certains catholiques et « pratiquants », la terrible prédiction n'a pas causé moins d'émoi ; des bedeaux parisiens, interviewés, ont déclaré que des profusions anormales de cierges ont brûlé ces jours derniers dans les églises et que les vicaires, complètement débordés, ont dû passer des journées entières dans leurs confessionnaux, sans prendre pour ainsi dire le temps de manger. Ce qu'ils ont dû pester contre M. Falb !

    On prétend même que nombre de gens avaient, par prudence ! retiré leurs fonds des banques où ils étaient déposés, tandis que d'autres, que de bons protêts ont depuis rappelés à la réalité, ont refusé de payer leurs échéances. Quant à M. de Calino, devant qui l'on commentait récemment le fatal événement, il n'a pu s'empêcher de déclarer que c'était la ruine pour les compagnies d'assurances sur la vie.

    Mais où donc est passé l'astre dévastateur ! Il est entendu que lorsqu'on parle du loup on ne tarde pas à en voir la queue. On n'en saurait dire autant de la fameuse comète, dont on a beaucoup parlé, mais dont jusqu'à présent on n'a entrevu ni la queue ni la tête. Ce n'est vraiment pas gentil de nous plaquer comme ça. D'abord les comètes ont la réputation de nous faire avoir d'excellent vin et les amateurs y comptaient sans se préoccuper autrement du désastre qui devait suivre cette apparition. Il est vrai qu'il était un peu tard pour cela, la dernière récolte étant depuis longtemps en cave. Est-ce la raison qui a fait manquer son entrée à l'astre vagabond? C'est encore possible. En ce cas fera-t-il bien une autre fois d'arriver avant la vendange.

    Tous les méchants sont buveurs d'eau. C'est bien prouvé par le déluge,

    comme dit la chanson, et dans ces conditions, qu'il s'agisse d'une pluie de feu ou d'une pluie du genre de celle qui anéantit les contemporains de Noé, il va de soi que les bons humeurs de piot n'auront rien à craindre ; les buveurs d'eau se débrouilleront comme ils pourront.

    Et, à propos de pluie, qu'est devenue la pluie d'étoiles filantes dont les autres astronomes, moins féroces que M. Falb, nous avaient annoncé le retour pour la nuit du 13 au 14 novembre ? Nous avons eu beau ausculter l'horizon, nous n'en avons pas aperçu... nous allions dire l'ombre, expression impropre, à la vérité, bien qu'ordinairement usitée, qui ne saurait s'appliquer à ces brillants météores. Mais il n'est pas moins vrai que nous n'en avons pu observer aucun, bien que le temps fût très clair; d'autres auront peut-être été plus favorisés ; quant à nous, force nous est de reconnaître que nous sommes revenus complètement bredouilles d'une exploration nocturne prolongée. Nous en avons pourtant rapporté quelque chose, mais ce n'était pas tout à fait cela, puisque tout s'est borné à un bon rhume de cerveau. Par exemple, le coup a été brusque, et la petite crise d'éternuements qui en est résulté nous a fait voir, comme on dit, trente-six chandelles ; mais encore un coup ce n'était pas pour cela que nous avions passé la nuit à la belle étoile.

    Quant aux autres étoiles, celles que nous pensions admirer et qui, sur la foi des calculs officiels, devaient nous donner l'impression d'un magnifique feu d'artifice céleste, elles ont seulement brillé par leur absence ; le feu d'artifice avait complètement raté, comme cela se produit parfois le 14 juillet ; mais du moins ne faut-il pas trop se plaindre, car celui-là n'a rien coûté au budget de la ville. Et si nous réclamons, c'est seulement pour constater que ces trop filantes étoiles n'ont pas mis la moindre complaisance à nous offrir un régal, gratuit il est vrai, mais sur lequel nous nous croyions en droit de compter. Suivant l'exemple des fameuses mules du général White elles ont tout simplement... filé à l'anglaise.

    Peut-être reviendront-elles — pas les mules, on n'y compte plus, mais les étoiles — avant qu'on ait lu ces lignes ; on ne pourrait alors que leur reprocher d'avoir fait long feu.

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