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    Causerie

    Fini, l'été ! Les marronniers de Bellecour, dans une floraison nouvelle et que depuis trente ans nous n'avions jamais trouvée aussi remarquablement abondante, ont beau sembler vouloir nous faire illusion, n-i ni, c'est fini, et le voilà parti bel et bien. Les hirondelles ne s'y sont pas trompées ; d'une aile agile, elles ont filé vers d'autres cieux, cédant la place, même un peu avant l'heure habituelle, aux marchands de marrons qui récurent leurs poêles et ne tarderont guère, hirondelles d'hiver, à faire leurs débuts dans nos murs. Depuis hier, officiellement, c'est l'automne, et les chaleurs, qui pendant de longs mois nous accablèrent, nous ont pour tout de bon dit adieu jusqu'à l’année prochaine, sans laisser beaucoup de regrets.

    Que sera l'hiver qui se prépare ? Il est difficile de le prévoir ; néanmoins, on en a déjà tiré l'horoscope, et certains météorologistes en chambre n'hésitent pas à nous dire qu'il sera d'une clémence exceptionnelle, une deuxième édition, à les en croire, de l'hiver précédent. La preuve? ils ont tôt fait de la trouver, mais gageons que vous ne devineriez pas où. Un de ces savants — puisque c'est le mot consacré en pareil cas, même quand il se rapporte à des gens qui ne savent rien du tout, et pour cause — un de ces savants, disons-nous, fonde sa prédiction, je vous le donne en mille, sur ce fait que cette année les oignons n'ont qu'une pelure.

    Vous saisissez bien, une pelure ! Or il va de soi, à les entendre, que si le légume cher aux vieux Egyptiens, qui l'adoraient, aux deux sens du mot, car non seulement ils raffolaient de ce bulbe, mais encore ils lui rendaient les honneurs divins, il va de soi que si l'oignon, prudent végétal, est aussi peu vêtu cette année, c'est qu'il n'aurait que faire d'une plus chaude couverture. Un légume divin, pensez donc ! S'il redoutait un hiver rigoureux rien ne lui coûterait de s'offrir une pelure double, voire une fourrure ; mais du moment qu'il y renonce c'est qu'évidemment il n'y aura point d'hiver cette année ; il n'y a pas à aller contre, et ceux-là seuls pourront pleurer de froid, s'ils l'osent, qui se seront frottés les yeux avec les susdits oignons ; nous saurons maintenant à quoi nous en tenir.

    Mais les dieux s'en vont. Depuis beau temps on ne rend plus le moindre honneur à ceux devant lesquels se prosternait l'Egypte, et voici qu'on met à l'encan les autels de ceux qu'adoraient les vieux Gaulois nos pères. Une note parue dans les journaux de Paris nous apprend en effet que des affiches administratives, apposées dans tout le Vexin, sur les arrondissements de Mantes et de Versailles, annoncent la mise aux enchères, par suite de succession vacante, d'un autel druidique ou dolmen sis sur la commune de Brueil-en-Vexin .

    L'authenticité de ce monument d'un culte disparu est, paraît-il, des plus certaines ; on la garantit sur facture. L'autel est connu dans la région sous le nom de la Cave aux Fées . Ce qu'il y a de vraiment déplorable dans la destinée de cet autel, c'est la somme dérisoire à laquelle il va être mis en vente. Sa mise à prix n'est en effet que de cinq francs. Cent sous pour posséder la pierre vénérable sur laquelle les druides déposaient le gui sacré coupé par leur faucille d'or ! Quelle profanation ! Il faudrait véritablement ne pas avoir cent sous dans sa poche pour ne pas retirer cet autel aux mains impies qui le guettent. Il est vrai que l'objet est d'un joli poids qui ne permet guère de l'utiliser dans un salon comme dessus de pendule ; aussi risque-t-il fort, si l'enchère est couverte, d'être adjugé à quelque bon paysan qui, sans respect pour sa glorieuse origine, n'aura rien de plus pressé que de le détailler en vulgaires moellons. Le pauvre Albert Delpit, s'il vivait encore, n'eût pas manqué, si tel est son destin, d'ajouter en son honneur une page à son livre : Les Dieux qu'on brise.

    Tandis que de hardis explorateurs marchent à la conquête des pays inconnus, que les uns s'enfoncent dans les terres inexplorées du continent noir, et que d'autres, tel le duc des Abruzzes, naviguent vers les régions polaires, un de leurs émules, sans aller si loin, vient de faire une découverte des plus intéressantes, celle d'une ville d'Europe où il n'y a pas l'ombre d'un piano. Il s'agit d'une petite ville de Hongrie, qui a nom Marosonary, dont les habitants, gens fort tranquilles, vivent dans une honnête aisance.

    Un chanteur réputé s'arrêtait naguère dans cette ville ; la trouvant agréable, la fantaisie lui prit de s'y arrêter quelques jours, et pour donner aux habitants un échantillon de son talent, il se mit en devoir d'y organiser un concert. Le soir venu, les habitants se hâtèrent vers la salle où devait avoir lieu cette petite fête artistique. A l'heure dite le chanteur apparut en scène, mais il n'ouvrit la bouche que pour apprendre à son auditoire que le concert ne pouvait pas avoir lieu, faute de piano. Pendant deux jours il avait couru la ville à la recherche de l'instrument désiré, mais il n'avait pu se procurer ni accompagnateur, ni piano, pour cette excellente raison, expliqua-t-il, qu'il n'y en avait point. Et c'était tout ce qu'il y a de plus vrai. Heureuse ville ! dirait l’éminent compositeur de Sigurd, pianophobe endurci.

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