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    Causerie

    Pour sûr il y a quelque chose de détraqué dans l'orbite terrestre, et notre vieille planète a dû manquer l'aiguillage. Nous voici presque à l’équinoxe, aux portes de l'automne, et la chaleur est telle qu'on en est à regretter les journées du solstice d'été. On respirait au moins, à ces moments-là, tandis qu'à l'heure actuelle, à l'heure où nous écrivons ces lignes, l'ardeur du soleil, augmentée encore par des menaces d'orage et le souffle constant du sirocco, cette ardeur est telle qu'on est absolument rendu.

    Beau temps pour la vigne, certes, et c'est tant mieux pour nos braves populations agricoles si souvent éprouvées par les intempéries de saisons qui ne se font pas , comme on dit ; beau temps aussi pour nos stations de montagne où abonde le touriste ; mais temps bien pénible à la ville où les populations accablées courbent leurs fronts ruisselants. Aussi faut-il voir avec quel empressement nos concitoyens, chaque dimanche, se hâtent dès le matin vers les gares de chemins de fer, ou s'empressent aux embarcadères des bateaux-omnibus, sur le Rhône comme sur la Saône, et aux stations des tramways suburbains.

    Cinq francs pour une omelette ! disait un jour un citadin en réglant le modeste déjeuner que venait de lui servir un restaurateur de banlieue ; les poules ne font donc pas d'œufs dans ce pays-ci ? Elles en font bien, répondit l'homme au béret blanc, malheureusement personne ne vient les manger. Peut-être ce facétieux traiteur n'a-t-il pas baissé ses prix cette année ; mais en ce cas, il a dû étudier d'autres réponses, car avec ces chaleurs les promeneurs affluent dans les campagnes, aux jours de repos dominical ; ils y affluent même tellement que les œufs doivent souvent manquer, et dans ces conditions, basées sur la rareté de la marchandise, le moyen est tout trouvé de maintenir les prix dès mauvaises années ; il n'y a pas à sortir de là.

    Où voulez-vous aller pour chercher la fraîcheur? Il y a bien les Alpes, mais les œufs ne s’y donnent point. Il y a bien aussi les régions arctiques, mais là il n’y a plus d'œufs du tout, et puis c'est un peu loin pour les gens qui travaillent et n'ont que des loisirs limités ; ce qui ne nous empêchera pas de vous conseiller le voyage, si vous êtes d'humeur à le faire, d'autant que dans ce pays-là, ainsi qu'il résulte de récentes expériences, le funeste microbe est absolument inconnu ; on a beau y filtrer l’air, on n'en trouve pas, et quant à l'eau, les germes bactériens qu'elle contient sont en nombre si minime que ce n'est pas la peine d'en parler. La seule difficulté, c'est d'y aller voir, et elle compte.

    Mais à quoi bon se forger de telles imaginations? Comme il n'est guère possible d'aller si loin pour fuir le microbe, le plus simple est encore d'essayer de l'éviter, et l'on y arrive tant bien que mal avec de la prudence, accompagnée d'un peu de chance.

    Et puis il faut bien croire qu'on s'y fait, puisque nous sommes là, et que nous ne nous en portons pas plus mal. A quoi ne se fait-on pas? Tenez, nous parlions de la chaleur tout à l'heure, eh bien, croyez-vous qu'on cherche à la fuir tant que cela? Mais pas du tout, la preuve en est aux superbes salles qu'ont faites aux Célestins, ces temps-ci, diverses troupes de passage. Il est vrai que le spectacle en valait la peine puisqu'on y a pu voir successivement Mme Hading, Mme Jeanne Granier et en dernier lieu Coquelin aîné dans Cyrano de Bergerac.

    Il s'en faut, et de beaucoup, que la coquette salle présentât la moindre similitude avec une fraîche oasis, on y cuisait même quelque peu, sans exagérer ; mais personne n'a bronché et l'on est bravement resté à sa place jusqu'à la fin du spectacle. Quant aux applaudissements, cela va sans dire, ils ont été, à tous les points de vue, absolument chaleureux, et les rappels également.

    A propos de rappels un curieux conflit vient de surgir entre le directeur du théâtre royal de Dresde et ses pensionnaires. En France le public croit avoir suffisamment marqué sa satisfaction aux meilleurs artistes quand il les a rappelés deux ou trois fois. Il n'en va pas de même en Italie où un chanteur ordinaire se montre plus que vexé de n'avoir été l'objet que de huit ou dix rappels ; c'est par douzaines qu'il les leur faut. On ne se contente pas de moins en Autricheoù les rappels sont généralement si nombreux que pour éviter de fatiguer les machinistes par de multiples manœuvres du rideau, la toile est fendue verticalement par le milieu, et l'artiste peut ainsi se glisser par cette ouverture pour saluer le public.

    Or ces habitudes tendaient à s'implanter à Dresde, ce que voyant le directeur du théâtre royal a cru devoir régler la question en limitant le nombre des rappels. Dorénavant les artistes ne pourront se représenter devant le public que trois fois après chaque acte et six fois après la chute finale du rideau, ce qui ne fait pas moins de vingt et un rappels pour une pièce en cinq actes. C'est évidemment fort raisonnable, mais il paraît que les artistes ne sont pas satisfaits du tout.

    Autre usage exotique. Au Japon, où les théâtres sont très fréquentés, on a adopté un système bien original de contremarques. Au lieu de vous délivrer un ticket le contrôleur vous applique sur la paume de la main un timbre en caoutchouc variant chaque soir de couleur et d'aspect. Le système est certainement moins propre que pratique ; mais pour faire avec ça un commerce illicite de contremarques, on peut dire : C'est la peau !

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