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    Causerie

    La chasse est ouverte. Nos modernes Nemrods sont entrés en campagne, et à l'heure où paraîtront ces lignes, la fusillade retentira d'un bout à l'autre de la deuxième zone, celle dont fait partie la région lyonnaise. Des hécatombes de cailles et de perdreaux — on dit que le gibier est abondant cette année — se préparent pour la suprême joie des gourmets, astreints depuis de longs mois à de trop uniformes régals, et les lièvres n'ont pas fini de courir. Une sage mesure administrative a interdit le colportage et la mise en vente des produits de la chasse avant que l'heure de l'ouverture ait sonné ; mais, la chanson le dit, le chasseur est diligent, et il y a gros à parier que dès ce matin les amateurs impatients pourront, en y mettant le prix, s'offrir le luxe d'un rôti délicat : célérité et discrétion.

    A propos de chasse, il est fortement question d'organiser des battues d'un nouveau genre. Une épidémie de peste bubonique règne, comme on sait, en Orient, et il est même établi que quelques cas de la terrible maladie se sont produits en Portugal. On espère encore que de ce côté-là le fléau pourra être enrayé, grâce à d'énergiques mesures, mais le mal tend à prendre position sur les bords du Nil, et les autorités françaises et anglaises ont dû s'en préoccuper sérieusement pour éviter qu'il vienne à se répandre dans le bassin de la Méditerranée.

    D'après les comités d'hygiène, les rats comptent parmi les agents les plus actifs de la dissémination de la peste, et il y aurait absolue nécessité d'en débarrasser complètement les navires arrivant d'Egypte. Et comme il peut se faire que des rats infectés parviennent à se dissimuler à bord et à se glisser à terre, des médecins anglais réclament l'extermination de tous les rats qui font des docks des divers ports de commerce leur séjour habituel, pour empêcher toute contamination.

    La prescription est sage sans doute, mais comment l'exécuter? Les rats sont gent fertile en ruses, et d'autre part fort prolifique, et malgré les pièges, le poison et les chats, il est malaisé de s'en défaire. Aussi un journal anglais propose-t-il un prix important à qui trouvera un moyen pratique et sûr d'exterminer l'ennemi.

    L'illustre Pasteur avait indiqué aux Australiens, il y a quelque dix ans, un moyen de se débarrasser des lapins qui dévastent leurs terres, en créant parmi eux une maladie microbienne qui devait les anéantir à bref délai ; il serait question de communiquer aux rats une affection de ce genre qui pourrait peut-être en avoir raison pendant qu'il en est temps encore. La chose vaut la peine d'être examinée.

    Mais voilà que d'autres savants assurent que le principal agent de la propagation de la peste serait la puce, et l'on comprend que dans ce cas les difficultés de l'extermination seraient joliment augmentées, l'inoculation d'un virus quelconque à ces insectes buveurs de sang ne paraissant pas d'une application bien facile. Il est vrai que les puces incriminées sont celles qui se trouvent sur les rats pestiférés et qui, en passant à l'homme, le contaminent. Il convient donc avant tout de déclarer aux rats une guerre à mort, la mort aux rats.

    Ce ne sont pas là les seuls ennemis qui menacent notre pauvre humanité. Nous connaissions déjà les perruches infectieuses et les moustiques propagateurs de la malaria, mais nous ne savions pas encore qu'il fallait ranger les canaris parmi nos hôtes les plus dangereux. Un médecin fort distingué vient de publier un ouvrage dans lequel il déclare que ces charmants oiseaux, au séduisant ramage, sont souvent des agents de transmission de la tuberculose. Son affirmation est basée, assure-t-il, sur de nombreuses expériences, et il relate le cas de plus de trente personnes qui sont mortes des suites directes d'une infection de ce genre.

    Il ne demande pourtant pas la mort de tous les canaris, mais il recommande, pour éviter tout danger, d'aérer le plus possible la pièce où se trouvent les serins et de tenir leur cage dans le plus minutieux état de propreté, ce qui est, après tout, la chose la plus simple du monde.

    Chose curieuse, au moment où les hommes de science, émules de notre grand Pasteur, s'évertuent à trouver dans l'inoculation des virus atténués un remède aux pires maladies, des populations entières demandent la suppression de la vaccine, ou du moins de la vaccination obligatoire. C'est en Suisse, dans le canton de Soleure, que le fait vient de se passer. Il y a beau temps cependant que les bienfaits de la découverte de Jenner sont universellement reconnus. Eh bien, non, les habitants du canton de Soleure viennent de se prononcer, par un nombre important de voix, contre cette pratique, et dorénavant on n'obligera plus à se faire vacciner ceux qui préféreront avoir la petite vérole. Grand bien leur fasse !

    Quelqu'un demandait un jour à une brave femme de la campagne habitant une région totalement dépourvue de médecin :

    Et comment faites-vous, quand vous êtes malade?

    Oh ! monsieur, répondit-elle, sans y mettre malice, ici nous mourons nous-mêmes.

    Les bons habitants de Soleure nous rappellent un peu cette femme-là.

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