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Causerie

Les voilà donc revenues, les vacances, les joyeuses vacances scolaires, si longtemps attendues et si impatiemment désirées, par les petits comme par les grands ! Des messieurs très graves, souvent décorés et généralement fort diserts, se sont succédé ces jours-ci sur les estrades officielles, devant la jeunesse assemblée, et lui ont prodigué, avec de sages conseils, les trésors de leur éloquence ; ils ont été vigoureusement applaudis, certes, à la fin de chaque période ; mais c'est d'une oreille distraite qu'ils ont été écoutés, et si leur péroraison a été le signal d'une ovation toujours flatteuse, ils n'ignorent pas que leur jeune auditoire a eu surtout en vue de saluer, dans cette manifestation finale, l'approche de la libération définitive.

Adieu les mornes études, adieu les pensums! Dès ce moment, les mauvais jours étaient oubliés, et l’on ne songeait plus qu'à l’école buissonnière, à l'enivrante perspective de deux mois d'indépendance et de douce flânerie, loin des maîtres sévères et de leurs réprimandes. Ah ! le doux moment que cette envolée vers les grands horizons, et comme on voudrait encore être à cet heureux âge où tout est ignoré des misères de la vie !

C'est sous une perspective beaucoup moins riante que se présente pour nous la saison estivale. J e ne parle pas des heureux de ce monde à qui leurs loisirs permettent de s'offrir, en ces temps caniculaires, les enviables douceurs d'une villégiature prolongée sur une plage à la mode ou dans les vivifiantes régions d'un beau site alpestre ; je fais allusion à ceux qui, soumis à l'obligation du labeur quotidien, ne peuvent se soustraire aux désagréments du séjour en ville par des températures tropicales comme celles que nous venons de subir à Lyon.

On en est tout morfondu, et quand, la journée terminée, on aspire ?? un repos bien gagné, c'est le diable pour le rencontrer. L'affreux moustique est là qui vous guette. A peine est-on au lit que le redoutable insecte s'acharne sur vous et, d'un dard acéré, vous crible de douloureuses piqûres. Vainement essaye-t-on d'engager la lutte ; les maudits ont des ruses infinies, et comme ils sont légion, la victoire reste toujours de leur côté.

L'odieuse plaie que ces bestioles sanguinaires ! A être dévoré, mieux vaudrait, assure- te-on, l'être par un fauve, car s'il faut s'en rapporter aux affirmations données par un savant anglais, dans un livre récent, la dent de ces animaux est parmi les moins douloureuses qui soient ; il en cite de nombreux témoignages.

Un lieutenant anglais, qui fut un jour attaqué par un lion, lui a déclaré qu'il n'avait éprouvé aucune douleur. Il s'aperçut bien que le fauve le mordait, mais il n'en ressentit aucune souffrance ; il garda même si bien sa présence d'esprit que de sa main restée libre il put tirer de sa poche deux cartouches et les jeta à un de ses compagnons qui, d'une balle heureuse, foudroya l’animal.

D'autres personnes, assaillies par des ours, lui ont pareillement déclaré qu'elles n'éprouvèrent, sur le moment du moins, aucune douleur. En un mot, sur soixante-deux individus interrogés par le savant anglais, deux seulement auraient reconnu qu'ils avaient éprouvé des sensations plutôt désagréables ; cela d'ailleurs n'empêcha pas quelques-uns de ceux qui étaient tombés sous la dent des fauves de succomber à leurs blessures, ce qui fait qu'à tout prendre la piqûre du moustique doive être préférée, encore qu'elle soit fort douloureuse, car en fin de compte on en réchappe. Et puis l'été n'est pas éternel ; nous nous plaindrons bien assez tôt des piqûres du froid, et ce sera alors un autre antienne.

Un souvenir personnel à propos du général de Négrier :

C'était au mois de mai 1890. Le regretté président Carnot, revenant de Montpellier, où il était allé présider les fêtes données à l'occasion du quatrième centenaire de la Faculté de médecine de cette ville, venait d'arriver à Belfort, et les réceptions officielles avaient lieu à la mairie, dans la salle où flotte, au-dessus du buste du colonel Denfert-Rochereau, la vénérable loque, trouée par les éclats d'obus, du drapeau du siège, le même drapeau que les Lyonnais saluèrent respectueusement, il y a quelques années, pour l'inauguration du monument élevé par Coquet et Pagny à la mémoire des Enfants du Rhône morts pour la patrie en 1870-71.

Le général de Négrier, qui commandait le 7e corps, se trouvait près de nous, et l'idée nous vint de lui demander si en présentant le corps des officiers de la garnison il adresserait une allocution au président.

Vous êtes journaliste, nous répondit-il. Eh bien, retenez ceci pour votre gouverne. Si jamais vous entendez dire que Négrier a prononcé un discours, en quelque circonstance que ce soit, démentez carrément ce racontar. Je n'ai jamais parlé et je ne parlerai jamais.

Que n'a-t-il toujours observé cette sage réserve, dont il faisait ainsi parade ? Non seulement il a parlé, et beaucoup, mais il a critiqué les actes du gouvernement. On sait s'il lui en a cuit.

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