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    Causerie

    On reproche volontiers aux enfants de trop aimer le bruit. Il est de fait que ces chers petits êtres — ceux du moins qui n'appartiennent pas au sexe appelé à constituer la plus belle moitié du genre humain — se plaisent de préférence aux distractions les plus bruyantes ; cet âge est sans pitié pour les oreilles des grandes personnes le tapage est son fait, et quoi qu'en disent certains industriels avisés, les jeux qui font la tranquillité des parents sont loin de représenter pour lui un véritable amusement.

    Ils obéissent, ces pauvres chéris, à un invincible instinct ; imposez-leur silence, ils on seront marris, et tout on se soumettant pour l'instant, un tout petit instant, ils ne s'en refuseront pas moins à admettre, dans leur for intérieur, qu'on puisse s'amuser sans un peu de vacarme ; plus de bruit, partant plus de joie ; et les voilà tout attristés et surtout très mécontents contre les empêcheurs de danser en rond et de pousser des cris, que sont les parents.

    Soyons justes. Ces jeux où se complaît leur exubérante nature, ne les aimons-nous pas, nous aussi? Aux jours de fêtes populaires les divertissements préférés de la plupart d'entre nous ne sont-ils pas les plus bruyants ? D'abord toute fête qui se respecte commence et finit par des salves d'artillerie. Dans la grande ville comme dans la plus humble bourgade, ces salves, ou les détonations de boîtes, qui en sont l'équivalent, figurent invariablement sur tous les programmes, il n’y a pas à sortir de là. Puis ce sont de bruyantes aubades ; très souvent des tirs occupent le restant de la matinée ; des concerts, des défilés de fanfares remplissent la plus grande partie de l'après-midi, et la soirée se termine généralement par un feu d'artifice où l'on fera bruyamment parler la poudre. Après quoi, les derniers bruits éteints, tout le monde, grands et petits, ira se coucher, enchanté de sa journée.

    Au sujet de la courte visite que les tirailleurs soudanais viennent de faire à Paris, un de nos confrères citait ces jours-ci une curieuse réponse de quelques Arabes de grande tente envoyés par le Gouvernement à l'Exposition de 1889. Comme il les interrogeait naguère, dans le Sud algérien, sur le meilleur souvenir resté dans leur mémoire, ils répondirent qu'ils avaient vu la guerre dans le ciel , autrement dit un feu d'artifice. Le reste était devenu plus ou moins confus dans leur esprit, mais ils avaient gardé très vivant le souvenir de la bruyante fête pyrotechnique à laquelle il leur avait été donné d'assister et qui était demeurée pour eux comme un incomparable modèle d'assourdissante fantasia.

    Fen de brut! est la devise de nos félibres méridionaux, qui considèrent un beau vacarme comme la plus sincère expression de leur débordant enthousiasme ; s'excitant mutuellement au bruit ils en arrivent à mener ainsi, des journées entières, le tapage le plus formidable qu'on puisse ouïr, criant à tue-tête pour le plaisir de crier, par besoin de faire du bruit, et quand on ne les entend plus c'est qu'ils sont devenus complètement aphones et n'ont plus d'autre ressource que de gesticuler avec véhémence.

    Tout le monde n'est pas méridional, tout te monde n'est pas félibre ; mais tous, grands enfants que nous sommes, nous aimons quand même le bruit, et si nous n'en faisons pas nous-mêmes, nous adorons l'entendre ; il n’y a pas de bonne fête sans ça.

    Les Américains, qu'il faut toujours citer en matière d'innovations, ont trouvé mieux encore, ou du moins ils ont trouvé autre chose pour célébrer une fête patriotique.

    Dans l'Etat du Colorado, en effet, les habitants d'une ville qui porte le nom de Victor viennent de célébrer l'anniversaire de l’Indépendance par un tremblement de terre artificiel. Ayant miné le sommet d'une montagne ils y ont déposé cinq tonnes de dynamite. Plus de vingt mille personnes, parmi lesquelles le gouverneur de l'Etat, se trouvaient donc réunies, le 4 juillet dernier, aux environs de Victor, pour assister, de loin, à ce curieux spectacle d'une montagne qui saute.

    A l'heure fixée la dynamite a fait explosion, et les chocs ont été ressentis à près de cent cinquante kilomètres à la ronde. Quant au bruit produit par cette explosion il a été si formidable qu'un certain nombre de curieux en sont devenus sourds.

    Il paraît que, toujours pratiques, les habitants de Victor, tout en s'égayant pour leur propre compte de cet original spectacle, s'étaient proposé de faire à leur ville une bonne réclame ; ils ont, comme on voit, réussi à faire quelque bruit autour d'elle, et nous devons avouer qu'en fait de réclame ils détiennent là un record peu ordinaire.

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