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    Causerie

    Un bonhomme qui ne se laisse pas facilement démonter c'est assurément le fameux jockey américain Sloan qui, depuis quelques mois, est la favori du public anglais. Cela lui a d'abord valu nombre de victoires sensationnelles dans une série de courses où il a fait preuve d'une incontestable supériorité sur la plupart de ses rivaux britanniques, pourtant si redoutables, et il vient de montrer par une récente aventure que le bel aplomb qu'il sait si bien garder sur la piste ne l'abandonnait en aucune occasion.

    Ces jour derniers, après une course qu'il venait, à-son habitude, de gagner brillamment, le prince de Galles avait manifesté le désir de le connaître. On le lui présenta, et quand le prince se fut retiré, les reporters anglais s'empressèrent autour du jockey, avides de connaître l’impression produite sur lui par l’héritier de la double couronne de la Grande-Bretagne et des Indes.

    Il n'est pas mal, répondit Sloan d'un petit air indulgent ; je suis content d'avoir fait sa connaissance ; mais il ne m'a pas épaté. L'interview continuant, le jockey ne dissimula pas qu'à son avis le prince, dont on vante souvent la mise recherchée, s'habillait moins bien que la plupart des mondains de New-York, et le seul mérite qu'il condescendit à lui reconnaître c'est qu'il tenait son gilet moins serré que ne le font les Anglais. Et résumant son impression il ajouta : Tout compte fait, il a l'air d'un brave garçon, pas poseur ; mais je ne changerais pas avec lui .

    Peut-être a-t-il bien eu raison de parler ainsi ; mais le fait est que les journaux anglais ne reviennent pas de la façon si... cavalière, dont le jockey américain, dans sa rude franchise a dit son fait à celui qui sera leur roi, quand il plaira à Victoria de lui passer la main, ce dont celle-ci d'ailleurs ne paraît pas avoir envie de sitôt.

    Entre les rênes d'un cheval et celles de l’Etat le jockey Sloan n'hésite pas, il préfère les siennes ; c'est d'un sage ; il sait parfaitement s'en servir pour arriver au but, et il n'est pas dit que le prince, quand il aura à faire son métier de roi, se montre aussi habile que lui pour éviter les casse-cou.

    Au surplus la profession de jockey, si elle est périlleuse, n'en offre pas moins de sérieux avantages quand on l’exerce aussi habilement que le jockey américain, qui sait si bien en retirer honneurs et profits. On peut se contenter de moins, jugez plutôt.

    M. Paul Ginisty, qui est, en même temps que directeur de l'Odéon, un chroniqueur de talent, racontait justement ces jours-ci une histoire absolument stupéfiante, celle d'un jeune homme qui, ayant perdu la vue, se trouvait positivement malheureux de l'avoir recouvrée à la suite d'une opération. M. Ginisty est un écrivain sérieux, la mystification n'est point dans ses habitudes, et son genre n'a aucun rapport avec celui du fantaisiste Alphonse Allais, l'inventeur de la bicyclette de montagne et du procédé d'utilisation des chutes de ministères comme force motrice.

    M. Ginisty donc raconte qu'il se trouvait dernièrement dans une maison d'aveugles ; le jeune homme en question s'y trouvait aussi, et il ne fut pas médiocrement étonné, comme on pense, de l'entendre morigéner par les autres pour s'être laissé entraîner, lui disaient-ils, à. ce qu'ils appelaient une faute, la faute de s'être fait opérer, et d'y voir clair. Le jeune homme, ajoute-t-il, avait l'air fort penaud. Sans doute, quoi qu'en dise M. Ginisty, qui se porte garant de sa sincérité, agissait-il ainsi par compassion; mais il n'en est pas moins vrai que les aveugles ne semblaient pas jaloux le moins du monde, et qu'ils le raillaient avec l'enjouement le plus naturel, tant et si bien que l'un d'eux crut devoir mettre fin à la scène en disant : Soyons charitables ; n'avivons pas ses regrets.

    Il est assez d'usage, quand on exhibe un géant dans un café-concert, de présenter un nain, comme contraste. Tous deux, vous semble-t-il, sont à plaindre, car la plupart du temps le grand comme le petit, sont de véritables infirmes ; mais si vous plaignez le géant, il est quelqu'un qui de très bonne foi le plaint encore plus que vous, et celui-là c'est le nain.

    Le fameux général Mites, émule de Tom Pouce, qu'on vit à Lyon il y a une dizaine d'années, toisait dédaigneusement les malavisés qui riaient de sa taille ridicule, et nous nous souvenons d'avoir vu naguère une troupe de nains dont le plus minuscule traitait avec mépris de nains ratés ses camarades qui n'avaient pourtant qu'un ou deux centimètres de plus que lui. Non seulement il s'accommodait d'être le plus petit, mais, où l'orgueil, va-t-il se nicher ? il en tirait vanité ; il ne prenait pas son parti d'être un nain, il en était fier.

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