Sommaire :

    Causerie

    A l'instar de certaines plages à la mode, où les lois du snobisme exigent que tout mondain qui se respecte aille chaque année planter sa tente, Lyon a maintenant sa grande semaine de courses, et nous assistons en ce moment à ce curieux spectacle d'une cité considérable, laborieuse entre toutes, mise d'un bout à l'autre en mouvement par l'appel d'une intelligente société sportive.

    On ne saurait prétendre que le seul plaisir d'admirer les belles foulées de quelques lots de chevaux de pur sang soit l'aimant qui attire d'une force aussi irrésistible nos concitoyens vers le champ de courses du Grand-Camp ; cela n'est vrai nulle part, quel que soit l'intérêt de ces solennités hippiques. Certains, et ils sont plus nombreux qu'on ne croit, y vont plus particulièrement dans ce but ; mais la grande, l'immense majorité y sont amenés pour de tout autres motifs.

    Il y a d'abord une occasion toute trouvée de rompre la monotonie d'une vie de travail, l'attrait d'une bonne promenade au grand air, en passant sous les ombrages, si riants à l'heure actuelle, de notre admirable parc ; puis cette mystérieuse affinité qui toujours entraîne la foule vers la foule.

    Il y a ensuite le vif désir de voir, ou celui plus vif encore d'être vu — mettons vue pour donner la vraie note — le désir, de contempler un innombrable essaim de jolies femmes en exquises toilettes et celui de se faire admirer sous de beaux atours, dont le charme irrésistible rehausse si heureusement la naturelle beauté de nos élégantes.

    Et puis il y a aussi, il y a surtout dirions-nous, si nous ne craignions de voir faire la moue à nos habiles couturières et à leurs belles clientes, il y a la puissante, l'indéniable, la souveraine passion du jeu.

    Et cela est si vrai qu'à Paris, où des courses ont lieu chaque jour, sauf pendant les plus rigoureux mois d'hiver, on ne va guère aux courses que pour jouer. Nous excepterons, si vous le voulez, un certain nombre de réunions de choix où toutes les élégances aiment à se compter, comme le derby de Chantilly, et quelques autres, telles que la journée du Grand Prix de Paris, qui revêtent un véritable caractère populaire, où l'on est attiré par l'éclat des cortèges officiels et par l'instinctif désir, toujours très vivace en nos âmes chauvines, d'assister à la défaite des représentants d'Outre-Manche, à ce qu'on appelle en riant, mais invariablement, les revanches de Waterloo.

    Mais en dehors de cela, c'est le jeu, le jeu surtout qui attire les Parisiens aux courses. D'aucuns en vivent, s'ils n'en meurent pas ; beaucoup d'autres en pâtissent ou y arrondissent leur bourse, selon le hasard de l'inspiration et la chance de l’attitude des favoris. Ceux-là, c'est le seul démon du jeu qui les tient ; toilettes féminines, qualités de la production chevaline, accidents, ondées intempestives ou chaleur sénégalienne, rien ne les intéresse, ne les touche, ne les émeut, que la question de savoir si, l'épreuve achevée, ils vont déchirer leur ticket ou le porter aux guichets du pari mutuel.

    Nous n'en sommes pas là, dans notre bonne ville de Lyon ; les occasions d'y risquer son argent aux courses y sont trop rares pour qu'il y ait à s'ériger en moraliste chagrin et faire entendre la moindre protestation. On peut jouer chaque jour à la Bourse ; on ne peut jouer aux courses que bien rarement, quatre fois en tout cette année, et c'est la première année encore que cela peut se faire puisque la Société des courses n'avait jamais donné jusqu'à présent que deux ou trois journées au plus.

    Que ceux-là donc qui tiennent à mettre le trop plein de leur porte-monnaie entre les jambes d'un cheval le fassent tout à leur aise, ils ne s'y ruineront pas et ne s'y enrichiront pas davantage.

    D'abord l'argent qui se dépense là n'est pas absolument perdu, et il sert encore à quelque chose. Avec les bookmakers de jadis, Anglais pour la plupart, il disparaissait pour tout de bon, et nul n'en profitait, en dehors de cette corporation aussi exotique que peu intéressante, dont parfois même les membres gagnaient lestement au large au moment de rendre leurs comptes à de trop confiants parieurs.

    Aujourd'hui les pauvres ont leur large part des produits du pari mutuel, puisque, les frais d'exploitation payés, c'est à eux que va le bénéfice de la dîme prélevée sur les joueurs ; et non seulement les pauvres, non seulement le service de l'assistance publique, mais encore certaines œuvres des plus recommandables en profitent, comme les sociétés de secours mutuels dont les ressources s'accroissent, de-ci de-là, de respectables sommes provenant du jeu aux courses.

    Laissons donc faire puisqu'il en est ainsi, laissons les parieurs passer leur fantaisie, en souhaitant à nos lecteurs de s'arrêter aux meilleurs pronostics. Quant aux toilettes, si elles sont de bon goût, il se trouvera toujours assez de connaisseurs qui sauront les admirer et qui rendront hommage en même temps à la beauté des Lyonnaises.

    droit d'utilisation : Licence Ouverte-Open Licence

    Retour