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    Causerie

    Le printemps bat son plein, les marronniers de nos squares étalent fièrement l'abondante parure de leurs thyrses d'albâtre, et partout dans les jardins les lilas s'empanachent d'odorantes floraisons ; dans les vertes ramures les oiseaux chantent à tue-tête l'hymne du renouveau, tandis que le soleil triomphant s'attarde de plus en plus sur nos têtes ; la nature en fête incite les cœurs à la joie, la joie de vivre, et pousse les cerveaux humains à bannir les pensers moroses.

    Comment donc se fait-il que tant d'idées macabres s'agitent à cette heure ? Les journaux sont pleins des récits de ces imaginations funèbres, et nous n'avons pour les citer que l'embarras du choix.

    Il n'est bruit en ce moment que de l'étrange résolution que vient de prendre Mlle Emma Calvé. A la veille d'entrer triomphalement à l'Opéra, de faire une brillante apparition sur la première scène lyrique du monde, arrivée en un mot au faîte qu'elle ambitionnait d'atteindre, après tant d'acclamations recueillies à Paris comme à l'étranger, voici que la charmante diva, plus rayonnante que jamais de grâce et de beauté, vient de charger un statuaire, des plus distingués d'ailleurs, M. Denys Puech, de lui faire son tombeau.

    Certes, ce n'est pas qu'elle ait envie d'y descendre de sitôt ; mais c'est par une sorte d'originale coquetterie qu'elle a tenu à connaître, longtemps d'avance, le caractère de sa dernière demeure, telle Sarah Bernhardtqui, si l'on en croit une légende fort accréditée, voyagea des années emportant sa bière parmi ses bagages, une bière délicieusement capitonnée, au dire des gens bien informés, et qui dut subir de nombreuses avaries durant les longues pérégrinations de l'éminente tragédienne.

    Mme Sarah Bernhardt a, dit-on, renoncé depuis à se faire accompagner de ce funèbre colis, qui sans doute est tombé en miettes à l'heure actuelle, au cas où il ait jamais existé ; mais Mlle Calvé ne l'entend pas ainsi, ce n'est pas d'un cercueil, si richement décoré soit-il, qu'elle a fait la commande, mais bien d'un indestructible monument funéraire en marbre, qui figurera, nous assure-t-on, à l'Exposition de 1900.

    L'idée n'en est pas moins étrange, et l'on ne peut se défendre d'un petit frisson en songeant à la décision de cette jeune et jolie femme qui, en pleine santé, au beau milieu d'une triomphante carrière artistique, envisage si froidement l'avenir.

    Charles-Quint, lui, alla plus loin. Après son abdication, le puissant monarque, en proie aux infirmités et subjugué par les inquiétudes les plus extravagantes, eut, comme on sait, l'idée de faire célébrer avant sa mort ses propres obsèques. Il fit élever un catafalque dans la chapelle du couvent où il s'était retiré ; des moines, cierges allumés en main, s'y rendirent processionnellement, et lui-même suivait, recouvert d'un linceul.

    Un cercueil avait été préparé, il s'y fit déposer solennellement, et les moines chantèrent l'office des morts. Lui-même mêla sa voix aux prières qu'on récitait pour lui ; la cérémonie terminée, les assistants, armés de goupillons, l'aspergèrent copieusement d'eau bénite, puis ils se retirèrent, le laissant dans le cercueil, ainsi qu'il l'avait ordonné.

    Il en sortit néanmoins et, rentra dans ses appartements, la tête remplie d'idées lugubres que cette cérémonie n'avait pu manquer de lui inspirer. Mais cette image de la mort avait produit sur lui une telle impression qu'il se sentit aussitôt pris de fièvre et qu'il s'alita pour ne plus se relever.

    Un Américain vient de faire une expérience de ce genre, et elle a eu pour lui le même résultat. Se trouvant très malade et voulant lui aussi s'offrir la parade de ses propres obsèques, il réunissait dernièrement ses amis et domestiques. Mandé par ses soins, un révérend venait prononcer son oraison funèbre, après quoi la maîtrise entonnait le service des morts. La cérémonie faite, le mort vivant remercia le prédicateur, paya les frais de la cérémonie, fit venir ensuite un entrepreneur de pompes funèbres, régla avec le plus grand soin le détail de ses obsèques, dit solennellement adieu à tout son monde, et le même jour il rendait le dernier soupir, très satisfait sans doute d'avoir veillé ainsi lui-même au bon ordre de ses funérailles.

    Autre histoire macabre pour finir, mais qui s'est terminée, hâtons-nous de le dire, de façon moins tragique ; elle s'est déroulée tout dernièrement sur une scène de Bohême. De nombreuses affiches avaient annoncé un spectacle sensationnel ; elles n'expliquaient pas la nature de l'attraction promise ; mais le public, très confiant, s'y était rendu avec un empressement remarquable, si bien qu'au lever du rideau la salle débordait de spectateurs.

    Cependant là représentation s'achevait, et l'attraction attendue n'avait pas encore paru, quand le directeur, se présentant en scène, sortit un revolver de sa poche, et, sans plus de façon, se tira un coup de feu dans la région du cœur.

    Il tomba et, au milieu de l'affolement du public, on le transporta dans les coulisses, où le médecin de service constata qu'une balle avait percé les vêtements du directeur, mais que celui-ci n'avait aucun mal. Le directeur a affirmé qu'il avait voulu se suicider parce que ses affaires allaient mal ; mais la balle n'a pas été retrouvée, et on en a conclu que le malin imprésario l'avait tirée sur ses vêtements avant de les revêtir, et que la cartouche qu'il venait de brûler n'était chargée qu'à blanc. Un vrai suicide de théâtre. Tant d'ingéniosité méritait une récompense, et on assure que depuis lors le faux suicidé refuse du monde.

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