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    Causerie

    Mlle Couesdon fait école. On a beau dire qu'à notre époque le métier de prophète ne nourrit pas son homme, il surgit tous les jours de nouveaux devins, et comme la crédulité humaine est infinie, qu'elle ne se lasse jamais, les plus grandes extravagances trouvent toujours créance auprès du public ; la clientèle change, selon le genre, mais elle est immense, et tous les prophètes ont la leur, témoin ce jeune Messie, âgé de cinq ans à peine, qui vient d'éclore aux Etats-Unis, où il fait en ce moment une tournée triomphale, prêchant, commentant les Ecritures et prédisant l'avenir avec un aplomb imperturbable.

    On rit volontiers des bonnes gens de la campagne qui, à la suite de la perte d'une vache, s'imaginent qu'on leur a jeté un sort et se laissent extorquer des sommes relativement considérables dans l'espoir de se soustraire aux redoutables maléfices dont elles se croient victimes. Les échos du Palais retentissent souvent d'aventures de ce genre qui parfois tournent au tragique, on en a vu tout récemment un nouvel exemple, où il y a eu mort d'homme.

    Les gens de la ville sont loin d'être exempts de ces ridicules croyances, et s'ils sourient de pitié à la lecture de ces grossières histoires de sortilèges, ils s'y laissent prendre eux aussi plus souvent qu'à leur tour. Le progrès des lumières est encore loin d'avoir raison de ces superstitions, les histoire de revenants ont toujours leurs dévots, même dans les cités les plus éclairées, et il ne se passe pour ainsi dire pas de mois qu'il n'y soit question de quelque maison hantée et des bruits mystérieux qui s'y produisent, à l'émoi de tout un quartier.

    N'est-ce pas en ville que la superstition du vendredi est le plus répandue? Consultez les statistiques, et vous verrez que ce jour-là les recettes des chemins de fer, celles des voilures publiques et celles des spectacles baissent considérablement à pareil jour, chaque semaine.

    Et la superstition du chiffre treize? Dans les grands hôtels ce numéro est généralement supprimé, les tenanciers sachant fort bien que la plupart des voyageurs hésiteraient à braver le danger dont ils se croiraient menacés en couchant dans la chambre portant le fatal numéro.

    Soyez un jour treize à table, et vous verrez la mine déconfite de plus d'un convive. Il en est tellement ainsi qu'une maîtresse de maison désireuse d'assurer le bien-être de ses invités et de faciliter leur digestion s'ingénie toujours à éviter le chiffre fatidique, assurée qu'elle est d'avance qu'on lui en saura beaucoup de gré.

    On a beau dire que le plus fâcheux, quand on est treize à table, c'est qu'il n'y ait à manger que pour douze, beaucoup reculent uniquement dans l'appréhension de quelque malheur, si bien qu'on a vu même des gens hésiter à s'asseoir solitairement en face d'une douzaine d'huîtres. Vous me direz qu’il faut bien se connaître pour agir de la sorte, mais cela se voit, et plus fréquemment qu'on ne pense, ce qui tend naturellement à prouver que beaucoup d'entre nous se connaissent bien.

    Une autre superstition non moins répandue que celles dont nous venons de parler est la foi aveugle que professent dans les pays les plus civilisés nombre de gens à l'égard des médecins empiriques, rebouteurs, rhabilleurs et autres.

    Les pratiques de ces charlatans ne sont pas toujours inoffensives à l'égal de ces remèdes de bonne femme dont on dit qu'ils agissent comme un cautère sur une jambe de bois. On rencontre presque journellement des personnes naïves qui s'étant soumises au traitement de ces exploiteurs de la crédulité publique s'en sont fort mal trouvées et sont bel et bien estropiées pour le restant de leurs jours.

    Ces insuccès ne découragent pas la clientèle crédule qui, pour une opération réussie, s'en va crier au miracle, tandis qu'elle professe le dédain le moins déguisé pour le praticien diplômé à ta suite de longues années d'études sérieuses.

    Sort-on complètement guéri des mains d'un vrai médecin? On ne songe guère à l'en féliciter; on l'a payé pour cela, on n'a donc pas à rendre hommage à son mérite, et puis, si l'on est sur pieds, c'est la nature qui a tout fait, non le remède administré à propos. Mais qu'un empirique obtienne un résultat ; alors on n'a jamais assez d'éloges à faire de son merveilleux talent, qu'on s'en va prônant à qui veut l'entendre. Les gens s'extasient, ils s'émerveillent, l'empirique est sacré guérisseur infaillible, et les malades d'accourir à ses consultations et de faire queue à sa porte, qu'il s'appelle le zouave Jacob ou n'importe comment, tout ce qu'on voudra pourvu qu'il ne soit pas un vrai médecin.

    Cela se voit tous les jours, même àLyon.

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