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    Causerie

    Un double événement qui ne pouvait manquer de faire couler des flots d'encre a marqué le dernier jour de l'année qui vient de finir : la retraite de Deibler et l'exécution de Vacher qui aura été le couronnement de sa carrière de bourreau. Bien que la sensibilité ne soit pas une qualité recommandable chez un homme dont la sinistre fonction est celle d'un boucher humain, il y a lieu de penser que ce septuagénaire, qui n'a si longtemps attendu l'heure de la retraite que pour pouvoir passer la main à son fils, a dû éprouver une douce émotion en apprenant que la justice lui fournissait l'occasion de donner une représentation d'adieux exceptionnellement brillante.

    On a beau être blasé par vingt années d'exercice, on a beau compter parmi ses anciens clients des bandits tels que Prévost, Campi, Pranzini, Prado, Eyraud, Gamahut, Anastay, Bruneau, Ravachol, Caserio et tant d'autres, dont la liste est longue, on ne doit pas être fâché, quand on a un vrai tempérament de bourreau, d'exercer pour la dernière fois ses fonctions en raccourcissant un des plus horribles assassins dont l'histoire du crime gardera le souvenir.

    Quel que soit l'opprobre qui s'attache à la fonction de l'exécuteur des arrêts criminels, il faut reconnaître que dans son redoutable ministère Deibler se montra toujours ponctuel et, qu'on nous passe l'expression, consciencieux. Régulièrement prêt à l'heure dite, il ne manqua jamais d'expédier sa besogne aussi proprement que possible, et ne fit jamais attendre le client. On l'a parfois accusé de manquer du brio et du fini d'exécution de tel de ses prédécesseurs, son beau-père Roch, par exemple, mais il n'en a pas moins été un artiste dans son genre ; son unique ambition fut de livrer un travail bien fait, et si par hasard on lui demandait ce qu'il pensait de la peine de mort, il avait pour toute réponse ce mot épique : Je pense au service et non au patient.

    On l'avait pu, du reste, juger depuis longtemps à l'œuvre quand on lui confia la place qu'il vient de quitter. Douze ans auparavant, à Brest, il avait fait rouler dans le panier, en sept minutes, la tête des quatre marins révoltés du Foederis-Arca, la rapidité de cette exécution contribua pour beaucoup à lui faire obtenir, sur de nombreux compétiteurs, l'emploi qu'il ambitionnait.

    On a donc épilogué ferme sur le drame judiciaire qui vient d'avoir son sanglant dénouement sur la place publique de Bourg. Les uns ont dit, rééditant une tirade célèbre, que c'était une honte que de posséder un bourreau volontaire, un homme qui tue pour de l'argent, pour vivre. Possible ; mais on n'a pas trouvé mieux jusqu'ici, et nous ne voyons guère la possibilité de confier cette horrible besogne à des gens de bonne volonté, à des amateurs désintéressés, travaillant uniquement « pour la gloire ». Sans compter que le meilleur moyen d'obtenir un travail bien fait est de le confier à un professionnel endurci, assurément moins prompt à s'émouvoir qu'un bourreau inexpérimenté. Cela ne supporte pas la discussion.

    D’autres ont repris la vieille thèse humanitaire de la suppression de la peine de mort, thèse qui a beaucoup servi déjà et que les avocats à bout d'arguments ne manquent jamais de développer devant le jury. Sans méconnaître la valeur du raisonnement qui consiste à dire que la société n'a pas le droit de punir un meurtre par un meurtre nouveau, il n'est peut-être pas excessif de penser que les abolitionnistes auraient pu attendre une occasion meilleure pour reprendre cette thèse.

    Bien des fois, le devoir professionnel nous a fait une obligation d'assister à des exécutions capitales, et cet odieux spectacle nous a toujours profondément écœuré ; mais nous devons reconnaître que c'est avec une sorte de soulagement que les populations des régions traversées par Vacher dans son odyssée sanglante ont appris que la justice s'était montrée implacable à son égard.

    La grâce de Vacher eût soulevé dans les campagnes un véritable mouvement d'indignation ; la grâce, pour ces braves gens, eût été considérée comme un déni de justice ; ils se seraient dit qu'une commutation de peine signifiait la reconnaissance de l'irresponsabilité de l'assassin, que Vacher, étant considéré comme fou, allait être enfermé dans un asile d'aliénés, et qu'il lui serait ainsi possible de s'évader, comme il l'avait fait une fois déjà, pour reprendre le cours de ses atroces tueries. Et c'est ce sentiment qui a fait éclater les applaudissements de la foule massée autour de l'échafaud quand la tête de Vacher est tombée.

    Etait-il fou, en vérité, cet assassin? Pour qui comme nous a suivi les trois journées d'audience qui se sont terminées par le verdict sans pitié du jury de l'Ain, il est difficile d'admettre que cet homme fût irresponsable. Les aliénistes ne paraissent dès à présent pas très d'accord là-dessus, et tandis que les uns déclarent que le cerveau de l'assassin ne présente ni lésion ni adhérence des méninges, d'autres assurent qu'il y a des apparences en faveur de la folie. Il leur sera par conséquent difficile de se mettre d'accord, ce qui d'ailleurs ne surprendra personne, les aliénistes n'étant jamais d'accord entre eux ; c'est toujours l'histoire du médecin Tant-Pis et du médecin Tant-Mieux.

    Ce que nous savons bien, nous, sans être homme de science, c'est qu'au cours de son long procès Vacher ne s'est pas montré fou le moins du inonde. Il a joué la comédie tout le temps, et il l'a même très mal jouée, tantôt faisant des simagrées, tantôt se comparant à Jeanne d'Arc, le monstre, et s'appelant le grand martyr, tandis qu'à d'autres moments, oublieux de son rôle, il discutait tel ou tel point de l'accusation avec la plus parfaite lucidité et la plus grande énergie.

    J'étais fou, disait-il ; quand mes accès me prenaient, je ne savais pas ce que je faisais. Et après? Est-ce que le caissier infidèle n'allègue pas toujours qu'en puisant dans la caisse de son patron il avait perdu la tête? Est-ce que tout meurtrier ne dit pas qu'il a vu rouge ? Au surplus, les vrais aliénés se défendent toujours de l'être, et la lâche attitude devant l'échafaud de l'éventreur de bergers, alors que toute simulation était devenue inutile, a suffisamment démontré aux jurés de l'Ain qu'ils peuvent dormir en paix.

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