Causerie
La question du chapeau revient sur l'eau, j'entends la question du chapeau des dames au théâtre, si souvent controversée, et à laquelle on semble vouloir donner une solution définitive. Y parviendra-t-on? C'est douteux ; mais enfin il y a une tendance à rechercher les moyens pratiques de résoudre ce difficile problème, et quel que soit le résultat obtenu, si tant est qu'on arrive à un résultat, il conviendra de s'en féliciter, ne serait-ce que parce que cela nous aura toujours un peu reposés de 1' « affaire », unique objet de nos préoccupations, ce qui d'ailleurs n'empêchera pas celle-ci d'aboutir à son heure, ainsi qu'il nous est bien permis de l'espérer.
Au surplus, le féminisme est à l'ordre du jour, et même depuis quelque temps il se trouve en voie de très sérieux progrès. Les femmes, les femmes, il n'y a que Ça ! disait la vieille chanson, et jamais flonflon ne fut plus d'actualité, encore que le sens en soit aujourd'hui modifié tout à fait.
Tant que cette question du féminisme a été l'apanage exclusif de certaines « oratrices » de réunions publiques, les revendications de la plus belle moitié du genre humain, généralement présentées d'ailleurs par des viragos mieux douées de bagout que pourvues de charmes, n'ont pas fait un pas en avant, et elles n'ont guère relevé que du vaudeville bouffon et de la revue de fin d'année ; il n'en va plus de même à l'heure actuelle.
Tout récemment, la Chambre des députés a écouté d'une oreille attentive la proposition de M. Viviani, que la précédente législature avait dédaigneusement repoussée, et le jour n'est vraisemblablement pas loin où il sera permis aux dames munies du diplôme de licencié en droit, d'exercer la profession d'avocat. On a bien objecté que cette proposition visait un cas unique, et que partant elle paraissait servir des calculs particuliers, Mlle Chauvin étant présentement la seule femme en possession des qualités requises pour prendre en main les intérêts de la veuve et de l'orphelin.
Robe sur robe ne vaut
, a ajouté un vieux grincheux, tandis que d'autres déclaraient qu'il serait souverainement déplaisant de voir une jeune et jolie femme remplacer son amour de chapeau et son délicieux corsage par la déplaisante tourte dont se coiffent nos avocats et la robe disgracieuse dont ils s'enjuponnent. Hé ! sont-ils eux-mêmes si beaux que cela, messieurs du barreau, sous ce costume suranné dont les médecins ont eu depuis longtemps le bon goût de se débarrasser?
Ces pauvres arguments sont condamnés d'avance, et nous ne voyons pas trop quelle raison sérieuse empêcherait les femmes, si elles y tiennent, de devenir avocates dans un pays où il y a des doctoresses en médecine. Serait-ce qu'on aurait peur de la concurrence? C'est qu'en effet une langue bien pendue est de première nécessité dans le métier, et que chez la femme ce précieux organe fonctionne avec une indiscutable supériorité.
Autres réformes en faveur du féminisme, celles-ci pleinement réalisées, et dont personne n'a songé à se plaindre, tant elles étaient naturelles. Depuis quelques mois les femmes sont admises à servir de témoins dans les actes d'état civil, et l'on a pu voir ces jours-ci les commerçantes patentées participer à l'élection des juges consulaires ; la seule chose qui puisse étonner en cette affaire, c'est qu'il n'en soit pas ainsi depuis longtemps. Et à ce propos, il convient de rendre hommage aux électeurs du tribunal de commerce de Fontainebleau, qui ont poussé la galanterie au point de composer exclusivement de dames le bureau de vote. A Paris par contre, tout en proclamant le droit qu'avaient les dames commerçantes à faire partie d'un bureau de vote, l'administration consultée a exigé la date de la naissance, et nous devons à la vérité d'ajouter que les dames ont mis un médiocre empressement à l'accomplissement de cette petite formalité. Pas galante du tout, l'administration.
Mais revenons à nos chapeaux, dont nous n'avons jusqu'à présent guère parlé. Une ordonnance récente du préfet de police confère aux directeurs des théâtres de Paris le droit d'interdire aux femmes le port des chapeaux, à certaines places où ils peuvent être gênants pour les spectateurs. Une application de cette ordonnance a été faite, paraît- il, l'autre soir, à la représentation d'ouverture de l'Opéra-Comique ; le programme de ce gala portait en effet l'invitation adressée aux dames de ne point paraître en chapeau aux fauteuils d'orchestre et de balcon, et les dames ont acquiescé avec d'autant moins de difficulté que cet usage prévalait déjà dans quelques théâtres.
Les maires de plusieurs grandes villes ont déjà pris des arrêtés à ce sujet, et quelques uns paraissent décidés à en assurer l'exécution, le maire de Marseille notamment. Ce dernier, après un premier appel peu suivi d'effet, fit, il y a quelque temps, afficher un avis remerciant les dames qui avaient bien voulu se conformer à la prière respectueuse à elles adressée, et ajoutant qu'il regrettait d'être obligé d'user d'autorité devant la résistance opposée par un petit nombre de personnes ; il a bien fallu en passer par là.
Mais parfois les chapeaux sont récalcitrants, et alors la question tourne à l'état aigu. Dans certaines villes des Etats-Unis on frappe d'une amende sévère les femmes qui s'obstinent à garder sur leur tête des chapeaux qui gênent les spectateurs, et cela peut aller même jusquà la prison. Ailleurs, des directeurs s'ingénient à trouver des moyens efficaces pour ôter aux dames l'envie de garder des monuments sur leur tête. C'est ainsi que l'un d'eux avait imaginé de placer les hommes d'un côté de la salle et les dames de l'autre. Celles-ci ny voyant absolument rien, prirent d'elles-mêmes le parti de placer leur chapeau sur leurs genoux. Un autre s'était ironiquement contenté d'autoriser seulement les femmes âgées de plus de trente ans à garder leur chapeau, et, comme bien on pense, il ne s'en trouva point pour bénéficier de l'autorisation.
Au fond, la vraie solution serait de mettre à la mode de tout petits chapeaux : on dit que l'on y vient, tant mieux ! mais combien cela durera-t-il?